Frédérick Tristan
Vincent Engel
Responsable de la page :
10 juin 1931
Sedan (France)
1 mars 2022
Dreux (France)
90
ans
France
Présentation
L’ambition d’un écrivain tel que Frédérick Tristan est de celles qu’un siècle borné ne peut appréhender. Et borné, ce siècle l’aura été ; à ses débuts, Tristan se frotte aux interdits sartriens touchant au roman, lequel serait un genre bourgeois aliénant. Plus de roman ! Rien que le réel ! Le jeune Baron, futur Tristan, riait déjà dans sa barbe ; le réel ? Avec quoi viens-tu, Jean-Sol Parthe ? Le réel est une manche que l’on retourne à sa guise…
Tristan était un compagnon de pensée – même s’ils ne se sont pas ou prou côtoyés – d’Albert Camus et de Romain Gary. Camus pour l’exigence éthique ; Gary pour la passion illimitée envers les pouvoirs de la fiction et de l’imaginaire. Les deux pour les combats contre les extrémismes, la bêtise et la bête renaissante. Mais d’une certaine manière, Tristan est allé plus loin encore ; il a élargi jusqu’aux lisières du fantastique comme aux confins de la terre et du temps le champ de jeu de son imagination. Camus disait que pour réussir une adaptation théâtrale d’un roman, il ne fallait pas craindre de pasticher ; Tristan a poussé le procédé au génie, écrivant des romans chinois, russes, rivalisant avec Thomas Mann et tant d’autres.
Comment décrire un tel homme ? Un érudit baroque, foisonnant, une sorte de Pic de la Mirandole doublé d’un bouffon facétieux, capable de rire de tout pour démonter les supercheries du monde autant que pour faire jaillir les perles de beauté et d’intelligence des sources les plus improbables. Le Prix Goncourt qu’il décroche en 1983 pour l’extraordinaire roman Les Égarés est à l’image de sa carrière : improbable et évident. On pourrait dire encore que Frédérick Tristan était un homme qui prenait le jeu très au sérieux. Caché derrière mille identités et autant de masques – en quoi il est aussi proche de Romain Gary –, il portait en lui, comme la plupart de ses personnages centraux, un enfant caché dans les replis de sa conscience. Enfant dans lequel se cachait à son tour un souvenir masqué, trou noir de la mémoire, mémoire d’un siècle d’horreur où l’ennemi visait les innocents.
En une trentaine de romans, il a bâti un univers, passant du macrocosme du monde au microcosme des consciences. Il a aussi été un modèle, peut-être malgré lui, autour de qui se sont agrégés les auteurs de la Nouvelle Fiction.
Maintenant qu’il est passé de l’autre côté du réel, par ce retournement de gant qui nous attend tous et nous surprend toujours, reste de lui ce sourire malicieux qui nous dit : « selon vous, qu'est-ce qui n'est pas mensonge dans le monde ? Ce que les hommes vénèrent et prennent le plus singulièrement au sérieux n'est qu'un ramassis de légendes et de folies à dormir debout ! La religion, la politique, l'art, la morale, les lois ! Même la science qui n'est faite que d'hypothèses ! L'erreur gère le monde ! Mentir dans un mensonge, c'est dire la vérité. »
Vincent Engel.