Alors, voilà
Thomas Gunzig
Pour
Francis Dannemark
C’était il y a 28 ans,
Nous étions en 1993 et je publiais mon premier livre.
C’était un obscur livre publié chez un tout petit éditeur,
il n’y avait pas eu de promotion,
pas d’articles.
Ce livre n’avait eu aucun succès,
personne n’en avait parlé,
personne ne s’y était intéressé.
Personne sauf un écrivain belge
et cet écrivain c’était Francis Dannemark.
À cette époque, Francis Dannemark organisait ce qu’il appelait des « nuits des lettres », et grâce à lui, j’avais pu lire mes texte un peu partout en Belgique et en France en compagnie de plein de gens formidable.
Il y avait les poètes :
William Cliff
Jean-Pierre Verhegen
Lambert Schleschter
Franck Venaille
Daniel Fano
Guy Goffette
Jean-Claude Pirotte
Etienne Reunis
Et beaucoup d’autres
Et des romanciers :
Xavier Deutsch
Philippe Blasband
Amélie Nothomb qui comme moi venait de publier son premier livre
Marie Desplechin
Pascale Fonteneau
Hervé le Tellier qui ne se doutait pas que trois décennies plus tard il aurait le prix Goncourt.
Et grâce à Francis Dannemark,
tous ces gens totalement différents sont devenus des amis
Et Dieu sait que l’amitié
dans un monde brutal
est une chose importante.
Francis avait ce talent rare et précieux de créer de l’amitié.
Il nous a fait traverser quelques frontières,
géographiques ou linguistiques,
il nous a fait écrire des textes,
il nous a publiés
avec soin et avec bienveillance
et Dieu sait que
dans un monde brutal
la bienveillance,
ça aussi c’est une chose importante.
Francis Dannemark,
comme éditeur, comme organisateur d’évènements
a été un des plus importants moteurs des lettres belges.
Et grâce à lui,
j’ai publié un second livre chez un éditeur moins petit et il est passé un peu moins inaperçu.
Mais avant tout,
Francis Dannemark était écrivain
il était romancier,
de jolis romans délicats qu’il comparait à des aquarelles,
et il était poète,
des poèmes qui étaient comme ces air de blues qu’il aimait tant.
Francis Dannemark qui disait : « j’écris pour apprivoiser le temps qui passe et la mélancolie qui reste », est mort il y a quelques jours.
J’aurais bien écrit que la mort d’un écrivain c’est comme une voix qui se tait, mais Francis m’aurait dit que l’utilisation d’un cliché de ce genre était interdit et j’aurais dû trouver autre chose.
Alors,
ce matin,
je me suis dit que
le mieux quand un écrivain est mort ça reste finalement de le lire.
Je vous invite à lire ses romans
par exemple :
- Mémoires d’un ange maladroit
- Choses qu’on dit la nuit entre deux villes
- Les agrandissement du ciel en bleu
- La longue promenade avec un cheval mort
Et puis lisez ses textes courts et ses poèmes
parce qu’évidemment
dans un monde brutal,
il n’a pas vraiment d’autre secours que la poésie :
Alors,
ce matin, lisons du Francis Dannemark :
MAL WALDRON ICI
Mal Waldron est un pianiste qu’il aimait et qui jouait souvent à L’Archiduc à Bruxelles.
l’arrière-arrière-arrière-grand-père,
qui avait été un jeune homme irrespectueux
puis un homme respecté, un amant fameux,
un compagnon au long cours,
un délicieux père de famille (la première au bout du monde et la seconde plus tard et beaucoup moins loin),
un joueur de poker parfaitement malchanceux mais un ami d’humeur égale,
un marchand riche puis pauvre et riche encore mais provisoirement
un voyageur ravi quoique dénué de tout sens décent de l’orientation
l’arrière-arrière-arrière-grand-père,
donc, disait ceci :
« il faut savoir où on est - et y être.
Si on n’y est pas, il faut être ailleurs. »
Sans doute faudrait-il penser de temps en temps
au peuple fantasque, innombrable et sans cesse mouvant
des flocons de neige.
Nul n'a jamais pu à l'œil nu
distinguer l'un de son voisin, l'autre du suivant.
Sans doute faudrait-il fermer les yeux
et se rappeler qu’ils tombent par milliards.
Qu’ils se ressemblent mieux que deux gouttes d’eau –
mais que jamais
il n’y en a eu
deux identiques,
et que jamais il n’y en aura.