top of page

Avec l’âne qui butine

Anne Letoré et Christoph Bruneel

Pour 

Werner Lambersy





Pour Anne & Xtof cette rencontre “incroyable” à l’Athènes de Bruxelles “notre” quartier général depuis des années sans le savoir. Bonne lecture - Avec mon amitié - Werner Lambersy, 2011 février

(dédicace dans l’ouvrage Maîtres et maisons de thé aux éditions Le Cormier, 1980)

 

“Athènes” (rue de l’Argonne 22, Bruxelles) est un restaurant grec où les plats sont à choisir directement en cuisine selon la disponibilité du jour, puis servis à table. C’est un lieu où toutes les nationalités se mélangent, où néerlandophones et francophones, Grecs et Bruxellois se partagent les tables et se côtoient parfois. Un lieu magique. L’Âne qui butine le fréquente depuis 2000, Christoph depuis 1981, Werner depuis ses débuts dans les années 60. À cette époque il était fréquent qu’un Grec arrivant à la capitale entre dans le restaurant, prenne une assiette, fasse le tour de la salle. Quand il revient à sa place son assiette est remplie d’une portion donnée par chaque client. Ainsi, il avait son propre repas, un repas bien à lui.

Un lieu de partage donc, et le partage va de pair avec Werner. Ceci se reflète aussi dans les liens qu’il tenait avec ses éditeurs, le partage de ses mots et de ses textes, une complicité qui s’installa, qui perdura chez certains.

 

Pour revenir à la rencontre en février 2011, l’année où L’Âne qui butine prépare avec Werner l’ouvrage À l’ombre du bonsaï (paru en 2012). Christoph se trouve à Bruxelles pour une livraison de livres, il en profite pour aller au magasin de seconde main le Pêle-Mêle (boulevard Maurice Lemonnier 59) où il trouve, entre autres, la première édition de Maîtres et maisons de thé. De suite, comme souvent, il se dirige au restaurant grec Athènes, entre et derrière un verre de retsina reconnaît Werner – depuis une fin de soirée chez L’Âne qui butine et une première édition en 2005 d’un de ses textes dans la collection pamphlet Défense du mensonge relatif, Werner et L’Âne avaient bien sympathisé – ; très vite ils partagent le verre retsina d’amitié. Puis, Christoph sort le livre qu’il vient de trouver de Werner qui n’en croit pas ses yeux, “Mais quelle journée !” dit-il, et poursuit : “Il y a quelques temps un exemplaire est parti aux enchères à Paris pour 600 €.” Ce n’était pas la somme qui l’avait impressionné, mais l’intérêt qu’on prêtait à cet ouvrage qui le fit connaître à un plus large public. Et comme la tradition le veut dans ce lieu d’amitié, cela se termina avec des cafés accompagnés de Metaxa. 

 

Depuis cette rencontre, à chaque fois que Werner passait à Bruxelles, il nous y attendait, et à plusieurs reprises il y attendait aussi Léo Beeckman (1948-2017), un ami de longue date – e.a. en 1985 une édition d’un livre de Werner chez le collectif DUR-AN-KI, Géographies et Mobiliers. 2017 était l’année de sortie du troisième livre de Werner chez L’Âne qui butine, Ball-trap et aussi celle du décès de Léo, ce qui fut un choc pour Werner.


Quelque temps après on revoit Werner, il nous apprend qu’il avait demandé à Léo de traduire Maîtres et maisons de thé. Léo avait commencé mais, travail de longue haleine, que sa mort subite a interrompu. Ayant connaissance de la traduction de Christoph de Pubères, putains de Jean-Pierre Verheggen, et comme Christoph est né en Flandre comme Léo, Werner lui demande de s’y mettre à son tour, ce qu’il accepte, comme une évidence poétique et amicale. Christoph avait déjà bien avancé quand Werner décède. Pourquoi continuer ? Pour qui ?


À part les ‘rencontres’ au restaurant Athènes, Anne & Christoph allaient aussi au domicile de Werner à Paris, où ils furent à chaque fois chaleureusement accueillis par Werner et sa femme Patricia Castex. Les murs de leur appartement y parlent de multiples ami.es plasticien.nes croisé.es. Un tableau nous attira plus particulièrement… On en connaissait une version qui se trouve au Musée royaux des beaux-arts de Belgique à Bruxelles, une autre dans la collection du musée van Buuren à Uccle (Bruxelles)… En face de nous une troisième version de La Chute d’Icare de Pieter Brueghel l’Ancien. Est-ce un original ou une ancienne copie ? … Laissons la réponse aux spécialistes. Mais que ce tableau se trouve chez Werner ! On dirait un portrait de Werner, qui est aussi bien Icare dans sa curiosité et sa quête des mots, que le paysan labourant sa langue. À l’occasion de cette rencontre, Werner nous invita pour deux projets d’édition avec lui, un tout petit tirage précieux pour son texte La lettre Valentine – une ode à sa bien-aimée Patricia – & Le festin de vivre / ‘s Levens festijn, un pamphlet contre sa ville natale Anvers, un livre qu’il souhaitait bilingue. Les deux ouvrages sont sortis en 2020. L’aventure éditoriale entre Werner Lambersy & L’Âne qui butine commença par un premier pamphlet et se termina avec un dernier pamphlet. La boucle est bouclée !

 

Un mois après le décès de Werner, L’Âne se retrouve au restaurant Athènes, port du masque obligatoire. Après un café Metaxa, Christoph dit à Anne : “Je me demande si le patron est au courant du décès de Werner, en plus, à l’arrivée, avec notre masque, il n’a pas dû nous reconnaître.” Christoph va au comptoir pour payer l’addition et informe le patron du décès de Werner Lambersy. De suite son visage change d’expression… Il me demande d’enlever mon masque pour me reconnaître. Je répète… Werner… “Non, ce n’est quand même pas le vieux monsieur qui vient depuis la création du restaurant par mon père ?” Avec nervosité il cherche sur son portable une photo de lui prise il n’y a pas longtemps dans leurs cuisines ouvertes, il s’agace, ne trouve pas tout de suite, ça y est, il me la montre, oui, c’est bien lui, Werner … Son visage se liquéfie, il devient blême, va de suite portable en main annoncer cette mauvaise nouvelle aux cuisiniers… Il revient, me remercie, parle de Werner qu’ils aimaient bien, qui leur offrait ses livres… Et à la fin il dit “À la télé et à la radio on n’arrête pas de parler de la mort du chanteur populaire le Grand Jojo (1936-2021), mais de lui, rien !”

 

Fin 2022 Christoph et Anne retournent au restaurant grec Athènes. Fermé. Á la porte est affiché le mot suivant :

 

ATHÈNES FERME ses portes.

Merci à notre clientèle de nous avoir accompagnés durant toutes ses années, depuis 1964 !

Merci pour votre soutien et votre fidélité.

Un autre projet est en cours, la fin d’une histoire

c’est aussi le début d’une nouvelle !

Je vous retrouverai toutes et tous très bientôt.

Portez vous bien et prenez soin de vous.

Nicolas

 

On pourrait s’imaginer un message pareil pour Werner Lambersy : c’est la fin d’une histoire et le début d’une nouvelle. Mais cette fois-ci, c’est dans sa mémoire qu’il nous reste de le suivre.

bottom of page