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Dans ma classe de quatrième

Paul Bienbon

Pour 

Francis Dannemark

Francis a bien été élève de l’IND Cureghem rue de Fiennes pendant ses humanités inférieures. Je peux même te dire qu’il était dans ma classe en 4ème et qu’il était assis au premier rang dans la rangée du milieu à droite, son banc accolé à celui du professeur. Place que j’ai reprise ensuite, quand Francis n’était plus à l’école, en 3ème, en poésie et en rhéto. Il avait par rapport aux autres élèves de la classe un air un peu précieux et gracile par exemple avec ses longs doigts effilés, et une façon un peu pincée de parler le français. Il prononçait par exemple le s de « tandis que ». Je me souviens du premier jour de l’année, où il insistait à l’occasion des présentations, sur le fait que son nom Dannemark s’écrivait avec 2 n (pas comme le pays). Ce qui était parfaitement légitime de sa part. À cette époque-là on avait de la sympathie l’un pour l’autre mais sans vraiment nous connaître. Il était gentil. Francis m’avait raconté qu’il avait, à 12 ans lu absolument tous les livres de la bibliothèque des enfants d’Anderlecht. Il a donc demandé et obtenu de commencer à lire les livres de la bibliothèque des adultes à 12 ans au lieu de 16. C’était impressionnant pour nous, ses condisciples, qui peinions parfois à lire 12 livres par an sur une liste de 100 classiques, livres sur lesquels, un dimanche sur quatre, nous devions faire une fiche de lecture de 8 pages. (Et le dimanche suivant nous devions écrire une dissertation de 7 pages).

Quand j’eus 18-19 ans, je me suis retrouvé à « kotter » à Leuven une année et l’année suivante faire la navette Anderlecht-Leuven en 2CV. J’ai eu à ce moment un peu plus de contacts avec Francis (il avait commencé la philo romane) et quelques anciens de l’IND.

Le vendredi soir, il était parfois intéressé de rentrer avec moi en voiture vers Anderlecht. J’ai été ainsi quelques mois son « confident » sur les tout premiers livres qu’il publiait à 20 ou 30 exemplaires. Parfois en format spécial (4 cm x 6cm par exemple) Conscient qu’il serait un jour un auteur reconnu, il indiquait chaque fois le tirage de ses livres et il les numérotait. Moi je lui accordais en tout cas la qualité de savoir de quoi il parlait, quand il parlait de littérature. Je jouais dans son jeu. Il me donnait souvent l’une de ces publications confidentielles (souvent de la poésie). J’ai donné ultérieurement tous ces précieux « manuscrits » à ma plus jeune sœur, qui elle, professeur de français dans le secondaire supérieur, a plusieurs fois invité Francis dans ses classes. Il aimait bien ce contact avec des élèves. Et était très courtois avec la professeur. Quand il publia ses premiers livres chez de vrais éditeurs, je voulus lui en acheter, mais il me dit: « Paul fais-moi le plaisir de les acheter chez Club, qu’ils doivent le commander, l’avoir en mains, et ainsi savoir que j’existe! » Ce que je fis. Je retrouvai même son livre à la vitrine du Club de la rue Wayez avant que celui-ci ne fusionne avec le Club du Westland Shoping Center ! J’adorais quand Francis décrivait notre campagne de Neerpede avec l’« Appelboom », le « Notelaer » ou le « Kriekenboom », ou quand il décrivait un gars ne faisant que rouler dans toute l’Europe sur autoroute. Sans but.

Par la suite j’ai moins aimé ce qu’il écrivait, trouvant que ses héros ne « vivaient » pas assez. De plus il faisait de plus en plus référence à ses ambiances musicales à lui, très anglo-saxones, décor qui m’était parfaitement étranger et même rébarbatif (j’ai personnellement toujours été très « chanson française »)…

Il m’expliquait à 18-19 ans, qu’il allait faire des cercles littéraires comme en avaient faits ses illustres prédécesseurs écrivains et poètes devenus les grands classiques de poésie et de littérature. Et chacun dirait du bien des autres auteurs du cercle littéraire. Une opération « Win-Win » en quelque sorte, expression qui n’existait pas encore à l’époque. Autrement vu, c’était aussi une façon d’être positifs et de s’encourager les uns les autres dans ce contexte où les temps étaient durs pour tout-le-monde. Ce qu’il fit toute sa vie en fin de compte (voir le plus beau des témoignages que j’ai entendus après son décès, celui de Thomas Gunzig).

Francis était soigneux dans son écriture, ce qui était apprécié par ses lecteurs. Un jour je lui ai écrit (après son deuxième roman) : « Je m’étonne que toi, qui es si attentif à la beauté du français, tu utilises si souvent les mots “qu’on” alors que c’est plus beau si on utilise les mots “que l’on”, même si c’est un peu plus pompeux ». Je sais qu’il a été très attentif à la remarque dans son écriture ensuite.

Mon frère aîné, Carl Vanwelde, le citait à chaque sortie d’un nouveau livre dans son blog et son mail journalier. Francis écrivit d’ailleurs la quatrième de couverture de son dernier livre. Livre que Francis n’eut jamais en mains. Mon frère le lui avait pourtant apporté, à son domicile, tout frais sortant de chez l’éditeur. Mais Francis venait de décéder quelques heures auparavant…


Paul Bienbon,

13 juillet 2022.

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