top of page

Des titres éblouissants

Jean-Luc Outers

Pour 

Francis Dannemark

J’ai d’abord connu Francis à travers ses romans dont les titres m’éblouissaient: Choses qu’on dit la nuit entre deux villes, Mémoires d’un ange maladroit, Les Agrandissements du ciel en bleu, La Longue promenade avec un cheval mort… Ces titres sublimes invitaient à la lecture et révélaient un art du roman propre à Francis Dannemark, fait de séquences courtes qui sont comme des clichés polaroïd substituant au récit des atmosphères ou des fragments musicaux. On a souvent cité la petite musique de ses romans, proche du jazz qu’il affectionnait.

J’ai rencontré Francis peu après mon arrivée à la Promotion des Lettres en 1990. J’ai compris aussitôt que bien davantage que l’auteur talentueux qu’il était, Francis avait des ambitions pour les lettres belges, non pas pour se mettre en avant mais pour secouer ce petit monde encroûté dans ses habitudes, ses rituels, ses préjugés. Il me proposa donc d’associer la Promotion des Lettres à ses projets, non pas simplement sous forme de subventions mais par un partenariat véritable. C’est avec enthousiasme que nous nous sommes embarqués dans son esquif baptisé Escales de Lettres.

Cette entreprise — car c’en était vraiment une — comprenait un volet éditorial à travers une collection publiée par l’éditeur bordelais Le Castor astral, bien diffusé en France, avantage certain sur la plupart des éditeurs belges. Outre des romans, la collection publiait des numéros thématiques. J’ai sous les yeux l’ouvrage Au fil du temps, auquel j’ai collaboré. La liste des auteurs est impressionnante. On y retrouve des écrivains de chez nous: Daniel Fano, Jacques Izoard, Bernard Gheur, mais aussi des romanciers, poètes venant du Luxembourg, de Suède, de Grande-Bretagne, d’Irlande et bien entendu de France parmi lesquels Hervé Le Tellier qui connut plus tard son heure de gloire. C’est que Francis avait à cœur de ne pas enfermer la littérature dans un territoire délimité par des frontières, raison pour laquelle il conclut un partenariat avec une association sœur dans le Nord-Pas de Calais.

Francis ne concevait pas son rôle d’éditeur sans la mise en valeur des textes qu’il publiait. De là sont nés les festivals Escales des lettres et les rencontres de l’Archiduc. Francis réussit ainsi à créer une véritable communauté des écrivains qu’il affectionnait. Je me rappelle avoir été souvent sur les routes en sa compagnie. Sur l’une d’elles, nous avons même connu une aventure qui a failli mal tourner et que je raconte dans un roman La Place du mort.

J’ai l’air ici de raconter une belle histoire qui se serait déroulée comme un long fleuve tranquille. Ce serait mal connaître Francis qui, pour mettre ses projets à bien, y compris sa propre vie, se débattait dans des difficultés parfois inextricables dont l’objet tenait en deux mots: le cœur et l’argent. J’ai passé avec lui des heures incalculables au téléphone pour l’écouter surtout. Je crois que, dans mon temps de travail, mes rapports avec Francis occupaient une place considérable. À tel point qu’à la faveur d’un audit qui devait introduire le management dans la fonction publique, j’ai été incapable de répondre à la question sur le temps consacré aux auteurs, sachant que l’un d’entre eux était particulièrement chronophage.

Quand j’ai quitté la Promotion des Lettres, il y a onze ans déjà, j’ai éprouvé, comme tous les jeunes retraités, un sentiment de vide accompagné d’un manque à une sorte d’addiction: il fallait me faire une raison, je n’entendrais plus Francis au téléphone.

Plus encore, il nous manque tellement aujourd’hui.


© Alice Piemme

bottom of page