top of page

Feu sacré

Rémi Bertrand

Pour 

Jacques De Decker

C’est l’été 2005. Il est le premier, après mes stages dans l’édition, à répondre à la candidature spontanée que j’envoie sous nos belges latitudes — mais tous azimuts — dans le petit – mais encore assez foisonnant — monde dit du livre. Je marche dans Coxyde lorsque je reçois son appel. Rendez-vous est pris au Métropole — café mythique dans lequel petit provincial aimanté par Paris je n’ai jamais mis un pied. Il m’y reçoit avec bienveillance, enthousiasme, intérêt. Salue la publication de mon mémoire de licence quelques mois plus tôt, évoque la parution du sien à peu près au même âge, me glisse un exemplaire de son premier roman, dédicacé — “dans l’espoir d’une fructueuse collaboration”. Il comprend mes attentes, mon envie d’en découdre. “Vous avez le feu sacré!” Mais pas de poste à pourvoir. “La vie n’est pas une autoroute”, assène-t-il — c’est un encouragement — au jeune ambitieux, auquel il confie la préparation de manuscrit d’un prochain Bulletin de l’Académie consacré à Simenon. Je m’y attelle, crois me noyer dans le nombre incalculable de corrections, ne cède rien, refais surface. Nous nous retrouvons au palais, dont il me fait visiter les vastes bureaux, où il m’offre l’un ou l’autre service de presse dédicacé à son intention. Il s’excuse pour l’excès de travail que m’a demandé la relecture du Bulletin: par erreur, le document ne m’avait pas été envoyé dans sa dernière version. Ainsi valide-t-il mon travail de bénédictin, dont seront intégrées toutes les corrections encore utiles, parmi les centaines proposées — feu sacré, qu’il avait dit.

Étrangement, nous ne nous rapprocherons plus que de loin en loin, à l’occasion de tel événement auquel comme auteur je participerai dans ce même palais, que loin de la capitale et trop peu assidu aux salons je ne fréquente pas par ailleurs, tout à l’abnégation quotidienne de nouveaux engagements éditoriaux qui, pour faire bouillir ma marmite, m’accapareront à l’excès — ainsi va la vie de tous ceux, innombrables dans le dudit monde du livre, qui pratiquent la cuisson sur feu sacré.

Étrangement, nous ne nous rapprocherons plus que de loin en loin… mais il restera le premier à m’avoir fait monter après mes études, non sur l’autoroute du travail, mais dans ma grande roue professionnelle.


bottom of page