top of page

Il a deux langues…

Rose-Marie François

Pour 

Rio Di Maria

Il a deux langues, au moins. Lui imposerait-on, comme à moi enfant, de n’en garder qu’une? Non. D’ailleurs une telle injonction peut mener à une passionnante polyglossie — j’en sais quelque chose. De toute façon, Rio cultivera la langue de la poésie.

On le dit étranger. On? Ceux et celles qui ignorent encore que sont étrangers seuls les êtres venus d’autres planètes. En attendant leur naturalisation terrienne.

Rio, nous le voyons traverser la vie en souriant. Il photo-graphie: il écrit en lumière, notamment nos soirées à la Maison de la poésie d’Amay, sous l’œil bienveillant de David.  

Merci à Rosa, sa sœur cadette de trois ans, qui fouille dans ses souvenirs pour compléter mes données biographiques. Rio est né le 18 juillet 1946 à Canicatti, province d’Agrigente, en Sicile, dans une famille pauvre au point de souffrir de la faim. “Je me rappelle notre arrivée, dit Rosa, le 12 août 1957, à Liège. Pour moi, c’était une renaissance, cet air bien frais, après les chaleurs terribles de Sicile. Il nous fallait apprendre le français. À l’école primaire de Mons-lez-Liège, on a remis Rio en troisième, et moi en première!”

Rio est la générosité même. Au point de nous donner ̶ avec Viviane, sa chère épouse! ̶ Fabian, un fils aîné for -mi-dable! Bientôt suivi de Damien et de Stéphane.

“À l’athénée de Seraing, me dit Fabian, mon père a eu la chance d’être pris en main par un professeur excellent qui lui a inculqué un français excellent.”

Quant au rapport à l’italien, Rosa me raconte comme leur maman, soucieuse de cultiver cette belle langue, s’abonne à des périodiques qu’elle fait lire à ses enfants et qu’elle commente avec eux. Heureusement pour eux, ils ne connaîtront pas le sort lamentable de ces familles immigrées qui croient aider leurs enfants à s’intégrer en reniant leurs racines!

Quels sont les métiers de Rio? “D’abord, me dit Fabian, il est assistant d’un petit théâtre, puis planificateur comptable dans une firme herstalienne. Mes parents font connaissance lors d’un bal populaire dans les environs de Flémalle.”

C’est en collaborateur efficace de la Maison de la Poésie d’Amay que Rio di Maria trouvera sa voie. Il en sera même le président de 2009 à 2019.

Francis Tessarolo, dit Tessa, venu de Vénétie, Rio l’a rencontré en 1967. Rio a commencé par donner un coup de main pour l’assemblage et l’étiquetage de la revue, dès 1972 — si l’on en croit le livre “30 années en Poésie” de Thierry Leroy dont sont extraits les paragraphes ci-dessous.

“C’est au début des années septante que Rio Di Maria se rapproche du groupe. Sicilien, il arrive en Belgique en 1957. De son pays natal il garde un souvenir très net. Le cordonnier qui habitait en face de chez lui est certainement pour beaucoup dans la formation de son caractère. C’était un original qui faisait feuilleter Marx au gamin qui ne savait pas encore lire, qui le bassinait de proverbes et l’emmenait dans sa tournée des bars. Rio est plus occupé par des petits boulots que par une scolarité assidue. A six ans, il travaille chez un forgeron où il faillit être écrasé par un tour, sauvé in extremis par son ‘patron’.

         Ses premières années en Belgique furent moins palpitantes: entre un instituteur impatient et un autre trop attentionné, un prof de français un peu raciste, Rio parvient à se familiariser avec sa nouvelle langue et se passionne pour la littérature. En quatrième, il rencontre Jean-Marie Baugniet, un prof zélé qui perçoit l’intérêt, mais aussi les lacunes, de Rio. Il lui donnera des leçons particulières tous les mercredis après-midi pendant quelques mois. Avec lui il découvre pêle­-mêle: Sartre et Camus, Joan Baez, Dylan, Ferré, Montand et surtout Nuit et brouillard de Jean Ferrat qui sera à 1'origine de ses premiers poèmes.

         Rio retrouve Tessa de temps à autre. Notamment au Movimento Arte e Cultura. Il s’occupe même de la revue de cette association. Mais après trois numéros, il se heurte à de gros problèmes: on lui impose un fatras connoté très à droite et on lui refuse les textes bilingues. Il décroche. En 1972, il s’achète une voiture et renoue les contacts. Il devient un assidu des rencontres que Chenot organise à la Maison des jeunes de Huy: El Che. Il apporte un précieux coup de main pour l’assemblage et l’étiquetage de la revue et dévore toute la poésie qui lui tombe sous la main. […]”

         Rio est mort d’une crise cardiaque le 23 mars 2020, à l’âge de 72 ans. Je le revois devant la boutique maelstrÖm, à Etterbeek, ou bien, plus près, lors des soirées à la Maison de la Poésie d’Amay, lui au premier rang pour mieux photographier, moi à côté de lui pour pouvoir mieux entendre.

 

bottom of page