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Il aura fallu un rêve

Véronique Biefnot

Pour 

Jacques De Decker

J’ai rêvé de vous cette nuit.

Ce n’est pas la première fois que vous apparaissez dans des songes nocturnes traversés de visiteurs variés, amis, famille, comédiens, auteurs, parfaits inconnus, masculins, féminins, non genrés, vivants ou disparus…

Mais cette fois, vous occupiez la place centrale.

Assis derrière votre bureau, votre haute silhouette ramenée à hauteur d’homme, vous posiez sur tous un regard amusé.

Et je vous ai retrouvé, parfaitement conforme à mes souvenirs, après toutes ces années… Car vous avez été présent, cher Jacques, à de nombreuses reprises et depuis fort longtemps dans ma vie professionnelle.

Si le ton du pli que je vous adresse ici est quelque peu formel, c’est qu’il s’accorde avec ce terme un peu suranné que vous avez souvent personnifié pour moi: l’entregent.

Si je m’en réfère au dictionnaire, ses synonymes sont l’adresse, l’aménité, la courtoisie, la diplomatie, la délicatesse…

Et vous étiez tout cela, naviguant avec la même élégance dans les sphères mondaines ou intellectuelles, enseignant avec patience et enthousiasme dans les salles du conservatoire, écrivant avec bienveillance vos articles dans le Soir. Ces critiques dont on disait qu’elles étaient rarement négatives, rarement méchantes; et c’était vrai. Votre souhait était, j’imagine, d’amener le public au théâtre plutôt que de l’en détourner, comme le font certains journalistes, davantage soucieux de mettre en avant leur hargne littéraire que de soutenir une œuvre ou un projet.

Vous, vous préfériez relever les qualités plutôt que souligner les défauts.

L’autre qualificatif évident lorsqu’on vous évoque est effectivement la bienveillance. Vous étiez rassembleur, et cette petite flamme dans vos yeux, si prompte à s’allumer, ne brillait jamais si vivement que quand vous aviez pu favoriser des contacts, vantant les mérites de l’un, citant les ouvrages de l’autre, vous émerveillant d’une peinture, d’une musique ou d’une adaptation.

Les ors de votre bureau à l’académie ne pouvaient rivaliser avec la chaleur de vos commentaires, avec le pétillement joyeux qui ponctuait vos interventions, plissant votre regard d’ancien enfant gourmand.

Car oui, cher Jacques, je te pensais gourmand et bienveillant, attaché à voir la beauté des choses et des gens, curieux de tout, ouvert à la découverte, enthousiaste sans modération. Tu as été, pour moi comme pour tant d’autres, un compagnon de route stimulant. Tu as été mon professeur. Tes critiques, volontiers élogieuses, ont accompagné mes premiers pas sur les scènes des théâtres, mes premières émissions de télévision, mes premiers romans…

J’ai joué dans certaines de tes adaptations théâtrales, écrit plusieurs nouvelles à ta demande dans la revue Marginales, connu grâce à toi des lieux étranges et rutilants comme le Salon du livre de Taïwan, les soirées monégasques protocolaires, les lectures orchestrées par tes soins à l’académie royale.

Mais il y eut aussi les conversations de bistrot après une représentation, les longs échanges téléphoniques où tu prodiguais conseils et encouragements, le fin sourire dont tu ponctuais tes phrases et l’éclat malicieux de ton regard, éternellement jeune derrière tes lunettes rondes.

Au plaisir de te retrouver bientôt, cher Jacques, au gré d’un rêve ou au creux d’un souvenir.

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