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Je te montrerai Aubervilliers

Francesco Pittau

Pour 

Franck Balandier

Il faisait froid. La nuit était déjà tombée quand je suis arrivé devant le café Zimmer, place du Châtelet. Franck s’était installé à une table près de la vitre, et il m’a adressé un signe pour le rejoindre. Novembre 2019, si je ne me trompe, quelque temps avant que s’abatte le couvercle du covid. Nous n’en savions rien encore, et les Chinois se promenaient encore dans Paris sans susciter le moindre regard réprobateur. Bref, je me suis assis à mon tour à la petite table ronde, et aussitôt nous nous sommes mis à bavarder de tout et de rien, de certaines personnes qu’il n’appréciait pas, d’autres qu’il détestait parce qu’ils les trouvaient pleines de fiel et de méchanceté. Franck pouvait être acide, acerbe, jusqu’à la franchise (je me rappelle cette poétesse qui avait souhaité son avis sur ses poèmes, et à qui il avait répondu que ça ne valait rien — et il ne l’avait pas dit avec arrogance, lui-même se disait mauvais poète mais capable de discerner le bon grain de l’ivraie; il n’était pas mauvais poète du tout, c’était un poète de l’outrance, pas de l’emphase, de la violente tendresse si j’ose dire). Donc ce soir-là, nous avons parlé de ce qui fut son travail dans les prisons pendant des années, puis de ses ateliers d’écriture (toujours dans les prisons); comme il a vu que le sujet m’intéressait: que s’il y a des gens dangereux dans les prisons, il y a aussi pléthore de gens qui ne devraient pas s’y trouver. Une flamme s’allumait dans ses yeux en évoquant son ancien travail; et comme nous avions coutume de le faire, nous avons “déconné”, racontant des horreurs qui relevaient de l’humour noir et vachard, mais sans vraiment prendre tout cela au sérieux, bien sûr. Il nous arrivait souvent de nous chambrer l’un l’autre, de nous balancer des rosseries dont nous étions les premiers à rire.

Au moment de partir, sachant que j’avais garé ma voiture à la Porte de la Villette, il m’a dit: “Tu reviens quand à Paris?” j’ai répondu que je serais de passage en janvier. “Ce jour-là, préviens-moi, et on se donne rendez-vous là-bas. Je te montrerai Aubervilliers, je connais le quartier comme ma poche, j’y étais quand j’étais gamin.”

On connaît la suite. Le covid est arrivé, je n’ai pas eu la possibilité d’aller à Paris, et lui s’en est allé.

Au hasard d’une prospection sur le net, je tombe parfois sur un de ses commentaires à mon encontre, et j’avoue que je rigole de nouveau, comme s’il venait de le poster à l’instant.


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