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Je te parlerai de mon pays Belgik

Colette Nys-Mazure

Pour 

Julos Beaucarne

Moi mes chansons elles voyagent

et s’en vont bien plus loin que moi

elles connaissent tant de paysages

pénètrent là où je n’entre pas

 

Oui, Julos, tel les poètes musiciens de l’ère médiévale, tu allais, troubadour, par villes de Belgique, de France et bien au-delà. Allègre chevelu, sourire des yeux autant que des lèvres, longtemps vêtu d’un lainage arc-en-ciel, la voix ronde qui contait si bien, c’est indéniable: tes chansons courent encore dans les rues.

Je remonte à la première rencontre grâce au bouche à oreille: une future belle-sœur revenue enthousiaste d’un stage d’animatrice en centre aéré que tu menais chantant, dansant, jouant, entraînant, avait aiguisé ma curiosité.

Puis des chansons m’ont rejointe par la voie des ondes, j’ai acheté tes vinyles que je garde religieusement. Tendresse et humour croustillant:

Tous ces textes faites-les passer dans votre Mixsoup vitesse 3 ensuite versez-les vous dans un verre au long col

Ajoutez-y un zeste de Chevrey Chambertin millésimé 1967 ensuite dégustez lentement en faisant travailler vos papilles auditives

Dieu! que tu étais Belge jusque dans ton Testament

J’aimerais qu’on tapisse mon cercueil

de capsules de bière catholique

Attentif à la vie vraie autant qu’à la vraie vie, amoureux des êtres et de la nature, de ton terroir rocailleux, tu célébrais cette fête d’être au monde, tu voulais reboiser l’âme humaine.

La mort tragique en 1975 de ta Loulou a engendré une lettre inoubliable: une invitation au pardon plutôt qu’à la vengeance si naturelle. Le choc de tes mots d’amour. La joie longue durée de savoir tes fils Boris et Christophe en si bonne existence, envers et contre tout.

Pendant des années, avec ta sœur Marie-Ange, dans notre collectif de femmes Kollontaï, nous avons joué sur une péniche de Tournai puis ici et là, Sortez vos plantes, une pièce issue de nos improvisations.

Je t’ai enfin écouté, rencontré pour de vrai: entre l’homme et la vedette, même pas l’épaisseur d’une feuille de cigarette. Toujours le même accueil.

La toute dernière fois, c’était un vin d’honneur du mariage d’une mes petites-nièces; nous étions gaiment surpris de nous retrouver là, moi dans le cadre familial et toi en reconnaissance à l’égard du beau-père cardiologue de t’avoir si bien soigné que tu puisses être là, égal à toi-même. Mais tu ne l’étais plus aux funérailles de ta sœur où j’espérais te retrouver: la maladie avait eu le dernier mot.

 

Dans notre anthologie Piqués des vers, 300 coups de cœur poétiques, le numéro 300 d’Espace Nord, Christian Libens et moi, nous avons retenu Tout doux et ce document d’époque ta Lettre à Kissinger à propos de Victor Jara, le guitariste chilien torturé. Car tu étais de ton temps politique autant que poétique, celui de l’actualité insupportable et celui des poètes belges — Max Elskamp, Liliane Wouters…

Lors de mes déplacements, il arrive que quelqu’un, découvrant que je suis Belge, réagisse aussitôt en chantant un Julos Beaucarne et je suis comblée. Allez! Wallon de mon cœur, plus on est ancré, plus on déploie ses ailes; plus on est personnel et plus on est universel.

© X. Ménard

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