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L’explorateur sur sa coquille de noix

Alain Kewes

Pour 

Michel Host

Relecteur et préfacier du premier livre, signataire du second – c’était le Poème d’Hiroshima –, Michel Host a plus qu’accompagné les éditions Rhubarbe, il les a portées sur les fonts baptismaux, leur a donné la légitimité et confiance initiales avant même que la maison ne soit réellement construite. Il est probable que sans son impulsion, Rhubarbe serait restée une belle idée comme on en a parfois, qui ne passent jamais à l’acte.

J’avais fait sa connaissance quelques années plus tôt à l’occasion du Prix Prométhée dont il était juré (éphémère, signe supplémentaire que la chance et le hasard déterminent bien des destinées, littéraires ou autres) et moi lauréat. Alors que je découvrais l’ivresse d’une gloriole inattendue, il n’eut guère besoin de me mettre en garde. Je manquais de cette ambition-là. Nous sympathisâmes. Hasard encore, il habitait une partie de l’année, avec Danièle, une maison à Pimelles, en Bourgogne. Je les visitai, tombai sous le charme de la courette en été, de la petite cuisine si la météo l’exigeait, et du vin de noix quel que fût le temps, qui prêtait à nos conversations décousues sa rondeur et son ambre. Le décor était planté restait à y jouer la pièce.

Je connaissais l’écrivain, j’admirais le bâtisseur, puisque de cette courette il avait de ses mains élevé le mur de pierres sèches qui la délimitait, je me félicitais de son goût très sûr en matière de vins, qui ne restaient pas de noix quand les assiettes se remplissaient, je découvris l’éditeur. Car Michel ne se contenta pas des encouragements fondateurs, il poussa à la roue, avait des idées, presque des exigences, il avait une âme et une vision d’éditeur, me soumettant à chaque visite des manuscrits, plaidant la cause d’auteurs que je ne connaissais pas mais dont il me disait le plus grand bien, m’assurant que je ne pouvais pas manquer celui-là (c’était plus souvent celle-ci d’ailleurs), il voyait grand, loin.

Après lecture, je disais parfois oui, souvent non ce qui le décevait visiblement mais jamais nos relations n’en furent affectées. J’étais le patron et s’il me chantait de me montrer stupide en refusant un futur best-seller, il aurait au moins essayé. Avec le temps, cela devint presque un jeu, chacun en rajoutant un peu et nous nous jaugions au travers des rougeurs vineuses de nos verres en trinquant à nos désaccords.

Ce que disent ces moments, ce dont ils témoignent, c’est que Michel Host était authentiquement, viscéralement, passionné de littérature, celles des autres au moins autant que la sienne, à condition toutefois que ces autres n’appartinssent pas à l’aréopage germanopratin qu’il exécrait. Des inconnus, c’était parfait. Peut-être se rêvait-il un peu Pygmalion – et d’ailleurs, n’essayait-il pas de me modeler moi ? Je savais hélas rester de marbre – mais il ne fait aucun doute qu’il était un découvreur. Il en avait la curiosité, l’enthousiasme, l’audace, l’aveuglement parfois (c’est moi qui souligne). C’était un Indiana Jones perpétuellement en quête du crâne de cristal

Mais après tout, a-t-il été autre chose en tant qu’auteur ? Romancier, nouvelliste, poète, épistolier, pamphlétaire, aphoriste, toutes les formes l’intéressaient, appelaient ses mots à s’y enfoncer, pour s’y trouver ou s’y perdre, peu importe. D’ailleurs on ne se perd pas dans l’inédit, dans la jungle où chaque pas crée le chemin. On ne se perd que sur les sentiers tout tracés. Qu’il ne fréquentait pas.

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