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Lettre du 27 juillet 2022

Danièle Blanchelande

Pour 

Michel Host

(La découverte des poèmes de Michel Host, dont parle ce texte, a été fixée par l'auteur dans cette photographie de 1958)


— Août 1958, Saint-Nectaire, l’un est à l’hôtel « Moderne », l’autre à l’hôtel « du Parc ». Par un des hasards de rencontre dans les petites villes d’eau, nous nous retrouvons à bavarder à une terrasse...

Nous parlons un peu, de notre venue dans cette jolie ville, puis rapidement de ce qui nous intéresse... Nous nous découvrons l’amour des livres et de la peinture. Nous avons des poètes en commun, des écrivains, des artistes, d’époques et de pays divers. Nous ne nous sentons pas vraiment à l’aise dans « l’époque » et dans ce qu’on appelle « l’existence ». Tu me dis que tu as eu une enfance « pourrie » et tu sembles amer.

Puis très vite tu ajoutes que ta seule passion c’est d’écrire... Écrire des poèmes... Une passion depuis des années, ton « lieu » d’existence.

Tu emportes toujours avec toi l’ensemble de tes poèmes. Est-ce que je veux les lire ?

Nous nous retrouvons le lendemain sur un chemin de campagne. Il y a ce gros dossier empli de textes. Je vais passer plus d’une heure à lire. Pendant ce temps, tu marches, photographies le lieu, tu attends… Je lis des poèmes qui me surprennent, me touchent, parfois me terrifient. Il y a une perception fine des événements, un amour de la vie allié à une violence éprouvante. Je te le dis.

Nous sentons que ce n’est plus une simple rencontre mais le début d’un échange et peut-être plus.

Trois jours plus tard, nous rentrons chacun dans nos villes respectives avec l’intention de ne pas rompre ce lien. Pendant un mois, nous nous écrivons, puis tu arrives à Paris.


— Octobre 1958, ce sera le début de notre vie. J’ai tout noté depuis dans un « journal » que je tiendrai épisodiquement…

Puis nous vivrons ensemble, étudierons ensemble... Comme il faut bien vivre, nous sommes « pions », comme beaucoup à l’époque. Cela permet l’indépendance pour assurer le quotidien. Tu obliqueras vers les Lettres espagnoles, le Siècle d’or, je resterai dans le XIXe siècle français, la grammaire, la lexicologie... Mais notre racine de vie reste, pour toi, les poèmes ; pour moi, le début du dessin et de la peinture.


— Un poison va s’interposer et il durera. La maladie deviendra une compagne d’abord silencieuse puis perturbante. Il faudra faire avec et tu assumeras avec courage et discrétion. À un moment il y aura la rencontre et le soutien des néphrologues si humains et compétents de Necker, pendant des décennies. Il y eut aussi plusieurs autres problèmes de santé, alourdissant le quotidien…


Mais l’essentiel est là : tu écris des poèmes où passent des moments de ton enfance, des événements de notre époque. Il y a ce magnifique poème, « Poème d’Hiroshima » dont tu envoies le manuscrit au Mémorial de cette ville martyrisée.

Un jour , tu apportes tes poèmes à un éditeur dont tu apprécies les livres, Guy Levis Mano. Vous avez bavardé un moment, il garde tes manuscrits. Quelques mois plus tard vous vous revoyez. Il dit avoir été touché par tes poèmes et propose d’en publier certains, mais comme il lui faut du temps pour chaque publication, il demande un délai d’un peu plus d’un an et demi. Seulement voilà, tu as des angoisses de mort... Un médecin militaire t’a conseillé de « profiter de la vie avant tes trente ans », alors tu vas reprendre tes poèmes. Guy L. M. regrette mais comprend. Les poèmes resteront dans tes tiroirs.

Nous avons un certain nombre d’amis dont plusieurs artistes,peintres ou sculpteurs mexicains. Ils ont du talent, sont chaleureux… Nous rencontrerons aussi Imme, dans le hall d’un immeuble, rue Gay-Lussac, une nuit de Mai 68. Elle deviendra un membre si vivant de notre famille ! Nous nous retrouverons jusqu’au moment où ni elle ni toi ne pourrez plus vous déplacer, il y a six ou sept ans. Mais entre Paris, Francfort et les étés dans les Baronnies, la Bourgogne, que de souvenirs. Elle est partie quelques mois après toi. Je me dis que tu n’auras pas connu sa disparition.

Puis les années vont passer. Aux poèmes s’ajoutent des textes en prose. Vont surgir des romans, des recueils de nouvelles. Tu obtiendras des prix littéraires.

Tu garderas un souvenir heureux de ta rencontre, en Suisse, avec les responsables du Prix Walser, de leur accueil si attentionné, du dialogue qui s’établit. Un milieu bien éloigné d’une grande partie du milieu littéraire parisien. Mais, cependant, là aussi, tu feras quelques belles rencontres…

Après l’agrégation, tu vas trouver un grand plaisir dans l’enseignement de la langue espagnole et des textes du Siècle d’or… Tu vas même accueillir des élèves difficiles dans des classes de « réadaptation ». C’est une période « en contact » avec les élèves, qui va te plaire. Puis, par nécessité, tu vas enseigner par correspondance, avoir des échanges par lettres avec certains élèves. Ils préparent le CAPES. Tu en encourages certains à ensuite préparer l’agrégation…

Tu es aussi une aide généreuse aux jeunes étudiants, aux auteurs néophytes. J’ai retrouvé dans ton « atelier » un dossier où certains t’adressent des remerciements vifs et amicaux, se disent heureux de t’avoir rencontré.

D’ailleurs, tu auras toujours une grande ouverture aux propositions nées de tes rencontres avec d’autres écrivains, d’autres artistes. Pendant des années, tu participeras ainsi à des créations à quatre mains, à des livres collectifs…

Vont apparaître et souvent disparaître des relations plus ou moins amicales, plus ou moins sincères. Parfois ce fut décevant.

Cependant, il y a eu et il y a, surtout, quelques vrais amis, les tiens, les miens, avec qui les années seront des moments heureux et qui sont pour certains encore là.


Mais les racines de l’enfance, de l’adolescence te sont de terribles poids à traîner…

Tu restes un écorché. Tu ne veux pas avoir d’enfant. Être « père », être cette image abominable que tu traînes avec toi depuis que je te connais et que tu rejettes toujours violemment. Pourtant je pense et te le dis que tu as toutes les qualités pour être un vrai père, que l’échange affectif que tu auras avec un enfant te reconstruira et sera un bonheur. Mais tu refuses…

Pourtant notre petite fille, si attendue, arrive. Ce sera aussi une naissance pour toi.

Pendant des années, tu vas tenir un journal, si attentionné, de ses débuts dans la vie… Peu d’enfants retrouveront, ainsi restituée à l’âge adulte, leur vie d’enfance.

Puis viendra ton petit-fils. Avec lui aussi, ce sera un échange heureux. Il est très fier que tu lui aies appris à allumer le feu dans la cheminée ! Il en a gardé une sorte de bande dessinée très précise… Il m’a dit, l’autre jour, que lorsqu’un de ses copains ou copines perd un grand-parent, il pense tout de suite à toi…


— 6 Juin 2021. Tu es parti. Les « soins palliatifs ». Je ne peux en écrire plus.

De vrais amis ont témoigné de leur chagrin. Ils sont la réalité, une vérité de la vie. Je les remercie avec toi.

Nous avons toujours eu un amour violent de la vie, de tout ce qui est actif, création littéraire, artistique, l’amitié et la reconnaissance à l’égard de tous ceux qui t’ont apporté, par leur compétence, des années de vie.


— Un an a passé. Le soutien de notre fille, de notre petit-fils et des proches amis est si réconfortant… Mais les mois s’enchaînent, vides.


Le temps n’est pas un réparateur. La nuit, je continue de lire comme nous le faisions et à chaque fois que je tourne la tête pour te faire part d’un détail de lecture, il y a ton absence. Ce vide cruel, je ne m’y ferai pas.

Nous avions, un jour, décidé de prendre pour maxime la phrase de la duchesse de Sévigné : « Il faut rire pour l’éternité ». Sage maxime que nous avons mise en pratique le plus possible. Elle devient étrange si l’on doit rire seule.


J’avais mis de côté le dernier « livre d’artiste » auquel je travaillais, à partir d’une de tes nouvelles, « Les vacances d’Aline ». Une belle histoire d’enfance, de nature créatrice de vie, mais dont je ne peux plus supporter la terrible fin. Je ne le terminerai jamais.

Je relis tes livres, c’est un tel plaisir de lire ta souple, riche, harmonieuse écriture, mais parfois c’est si terrible.


Il est impossible d’arrêter le dialogue. Je viens de retrouver un texte qui est tellement ta vision d’un quotidien citadin, un souvenir d’il y a quelques années, qu’il va devenir un dernier « livre d’artiste ». Après, je ne sais pas.

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