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Lettres à Francis

Laurence Finet

Pour 

Francis Dannemark

Ces mots, je ne pourrais les écrire que sous la forme d’une lettre car c’est de cette manière que nous nous parlions. Je le fais encore de temps en temps, dans ma tête, et poser ces mots, dirigés vers un souvenir, même si c’est abstrait, fait du bien. Il reste vivant dans mon cœur, n’est-ce pas là, la puissance de l’absence ?


Chelsea, le 16 août 2022


Cher Francis,


Aujourd’hui, le ciel est mitigé et indécis, entre bleu et gris. L’air est frais comparé à l’air d’Europe où vous auriez eu bien de la peine cet été. Votre petit bout du Canada, une géode ramassée dans le parc de la Gaspésie, envoyé pour amuser vos poissons et retourné par ces soucis de La Poste, est venu avec moi, dans un coin de ma sacoche. Je voulais le déposer sur votre tombe, il n’y en a pas. Je garderai ce caillou tout près de moi.

A Mons, à L’Oiseau-lire, j’ai déniché quelques-uns de vos livres plus anciens et rares, des carnets, ils sont même dédicacés. Je me donne pour mission d’en garder quelques-uns vivants et de mentionner votre nom au vent, en Belgique, en France, au Canada, et ailleurs, pour l’entendre prononcé et le rappeler aux consciences.

Ces dix mois de correspondance, doux et déchirants à la fois, furent un cadeau magnifique. Je l’ai pris comme cela, sans rien questionner.

Je vous avais raconté mon histoire de jeune fille au rêve d’écriture dans un mot de novembre 2017.


« Je vous ai rencontré alors que j'étais étudiante à l'Athénée Royal de Saint-Ghislain ; je devais avoir 16 ou 17 ans. Le soir même, je m'étais juré d'écrire un roman et de vous le dédier. Je ne suis pas encore écrivain mais je suis toujours étudiante. Je termine un programme de diplôme en arts visuels à Ottawa. Alors que nous déménageons, je viens de retrouver "Qu'il Pleuve" et que j'aime votre écriture, profonde et fluide. […]

Alors que je sortais de classe, je me souviens de votre regard posé sur mes mains, un petit détail emporté.

J'ai tellement hâte de vous redécouvrir et de plonger dans vos écrits.

Bien à vous,

Laurence »


Dans cette classe de secondaire, j’étais restée muette mais en sortant, j’ai croisé votre regard et je vous ai dit « merci ». Ce soir-là, je me suis demandé : « ai-je des mains d’écrivain ? ».

Après chaque nouvelle lecture d’un de vos livres, je vous envoyais un mot de remerciement car souvent, ils me touchent profondément. Après avoir redécouvert « Qu’il pleuve », offert par mon amie d’enfance lors de mon départ au Canada, j’ai aperçu une longue liste de romans et de recueils de poèmes depuis « Choses qu’on dit la nuit entre deux villes ». Je commençais à vous rattraper et je vous demandais de continuer à écrire car je voulais continuer à découvrir vos livres. J’ai appris depuis que les relire était important, pour les garder vivants.

Un jour d’automne 2020, « La misère… » est sortie à tirage limité. Tout de suite, je vous ai contacté pour en réserver un. Vous m’avez accompagnée dans mon attente impatiente du livre et ensuite dans ma lecture, lentement, au fil des chapitres. Une correspondance et une forme d’amitié sont nées. Au printemps et à l’été derniers, je vous encourageais, je vous envoyais toute ma force, je voulais vous aider à vous accrocher. Nous nous soutenions, d’une certaine façon. Vous aimiez beaucoup cette citation de Barthes « Suis-je amoureux ? Oui puisque j’attends. »


« Saviez-vous que caribou en Micmac se dit Xalibu et signifie aussi "celui qui flotte sur la neige"? Je trouve ça très joli et cela m'a fait penser à vous. Cependant ne flottez pas, tenez bon et accrochez-vous. »

Je ne sais pas si vous avez pu lire ce message de septembre.

Vous me manquez immensément. Cependant ce n’est qu’un lien créé par les mots, dans les mots, avec une lectrice enthousiaste géographiquement éloignée. Et pourtant, pour moi, c’était très important.

Durant la pandémie, j’avais pris l’habitude d’emporter vos livres en balade. Nombreux sont allés camper dans des cabanes enneigées. Je voulais vous faire voyager. Nous nous sommes portés, nous partagions nos états d’âme, des idées, des lectures, des films, de la musique et la couleur du ciel. Je vous ai dit un jour, au tout début, que connaître la couleur du ciel en Belgique me rassurait. Et moi, je vous effrayais avec des températures de -40 degrés.

« Tout est provisoire », on se disait.

Des messages à quelques années d’écart façonnent une histoire, l’aviez-vous recomposée ? Entre cette jeune fille de l’athénée, la lectrice enthousiaste et la correspondante ?

L’hiver dernier, alors que je suivais un atelier d’écriture, j’ai voulu vous faire un cadeau. A la Librairie du Soleil, j’ai glissé des petits mots, en douce, dans des romans de Stephen Zweig, « Lisez Francis Dannemark »… Peut-être quelqu’un en trouvera un et sera assez curieux pour vous lire.

La lumière revient. Le bleu est plus profond.

Tradition oblige, j’ai emmené « Le voyage à plus d’un titre » en voyage. Je l’ai lu par petits bouts et j’aurais tant aimé en parler avec vous. Je le relirai, avec grand plaisir.

Je vous embrasse bien fort (avec un décalage un peu plus grand qu’avant)

Merci pour cette histoire douce.


Prenez bien soin,


Laurence.



Chelsea, le 4 octobre 2021, 1:55 PM


Cher Francis,


Ce message ne vous parviendra pas. Je le fais pour moi. Et peut-être êtes-vous là, quelque part, dans le souffle du vent ou dans l'air de mon atelier, à côté de ma Misère...

Vous êtes et serez toujours là, dans le cœur de vos proches et dans le cœur d'une Belgo canadienne qui voulait tant vous retenir et aider votre bélier à bondir au-delà de ces épreuves. Je n'ai pas eu l'occasion de vous le dire: vous m'êtes important, conjugué à tous les temps.

Merci pour tous ces mots partagés, merci de m'avoir soutenue alors que vous viviez un enfer. Je voulais adoucir ces moments, je voulais tant vous aider à mieux aller. Et un jour, j'aurais voulu vous revoir. J'en rêvais... Vous ouvriez la porte, je découvrais votre sourire et j'attrapais vos mains dans les miennes. Il y a des rencontres qui frappent, je suis bien heureuse et tellement reconnaissante de vous avoir retrouvé. Et ce livre, je l'écrirai et je vous le dédierai, comme je me l'étais promise, il y a 29 ans. Un regret: vous ne le lirez pas mais vous serez là, avec moi. J'entendrai votre voix dans les mots, comme ces dix derniers mois. Toujours je noterai la couleur du ciel et ses nuances en pensant à vous tendrement. Merci de m'avoir rassurée. Vous m'avez permis de surmonter mon attente. J'espérais vous aider à rendre la vôtre plus douce. J'espère fort que vous l'avez retrouvée. Vous étiez entouré de vos proches et de plein d'amour et cela, vous le saviez. […]

« Amoureuse, vous l'êtes grandement et cela se sent », disiez-vous. Finalement, je pense que je suis une amoureuse des mots, des émotions et de l'âme, une amoureuse de l'amour ? Nos échanges d'idées me manqueront tellement.

Ici, il ne cesse de pleuvoir. Rouge, ocre et vert éclairent légèrement le brouillard. C'est très beau et doux. Samedi dernier, en regardant la brume, je sentais votre présence, comme un voile de douceur qui m'apaisait.

Où que vous soyez, j'espère que la plénitude vous habite enfin.

À « celui qui flotte sur la neige », Xalibu, le caribou... Celui qui vogue dans la brume et qui flottera dans mon atelier et dans un coin de mon âme, toujours.


Tout plein d'amour vers vous,

Je vous embrasse tendrement,


Laurence.

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