Notes sur Grand Paradis
Jacques Crickillon
Pour
Jacques Crickillon
Notes sur Grand Paradis (inédit)
Jacques Crickillon
“Grand Paradis” est le nom du seul sommet de + de 4000 mètres des Alpes italiennes, point culminant du parc naturel du même nom. Lorsque j’y pénétrai pour entamer l’ascension de la Grivola, puis avoir bivouaqué au refuge de l’Herbette, celle (sic) du Grand Paradis, je tombai en arrêt devant la pancarte accueillant traditionnellement les touristes à l’entrée de tout parc national. Elle disait: si vous aimez la nature, ne faites pas peur au gibier, n’abandonnez pas vos détritus, etc. “Si vous aimez la nature,…”. Tout en gravissant les premières pentes, je me mis à répéter: “La nature nous aime-t-elle? La nature a-t-elle lieu de nous aimer?”. Et me vint une grande colère contre ce cloporte prétentieux, l’homme, cette abjection dirait mon frère Lautréamont. Colère légitime car celui qui montait vers la cime blanche du Grand Paradis n’était plus un homme, c’était l’Indien, qui regagnant enfin son territoire, celui du silence, du vent sur la neige, la glace, les pierres profondes dans le ciel. Et la colère a roulé vers le village, il est venu une tranquillité, une certitude fondée sur rien: l’Indien faisait ce qu’il fallait, allait où il fallait qu’il aille. Cette montagne était le temple de l’amour fou. Elle l’est toujours. Haute sagesse! J’ai écrit Grand Paradis à plus de trois mille mètres, de nuit, en l’espace de cinq semaines. Le “je” du livre, c’est l’Indien de la Gare du Nord (Belfond, 1986). Personnage luciférien, archange des poubelles, lucidité marginalisée, idéalisme précipité aux enfers. L’Indien, non pas le dernier survivant de la sauvagerie, mais le dernier sauvage revenu d’entre ses morts pour clamer sa faim et son encens, son dégoût et sa passion. Grand Paradis est la suite du parcours de l’Indien. C’est dire qu’ici poème et récit sont indissociables; il faut parler de “texte” redoublant tous les registres de l’écriture pour tenter d’approcher au plus prêt, dans un monde du mensonge institutionnalisé, la vérité. Et qu’est-ce, la vérité, sinon l’existence lavée d’une culture de prisunic, libérée de l’humanité, cette pitrerie? Pour une autre culture, immémoriale, celle de la sauvagerie, celle de l’enfance. Si l’Indien de la Gare du Nord était une descente aux enfers, Grand Paradis est une résurrection par la puissance du mental aimanté par l’éros fondamental. Trois parties: Souvenirs de la réserve indienne, Exode, Grand Paradis. L’Indien a trouvé des frères: Vincent Van Gogh, Antonin Artaud, Schumann… Avec eux, il dialogue, il recrée. Et l’Indien quitte “la ville sans nom”, cette ville détestée — Bruxelles, Paris… — pour un retour à la source, la montagne, le seul lieu où règne encore, mais pour combien de temps, l’inhumanité dont seuls peuvent comprendre la noblesse ceux qui ont communiqué avec l’aigle et le serpent. C’est dire que Grand Paradis est un livre de clarté, de salut. L’enfance et l’amour, liés, sont les axes de cette quête d’une sagesse au milieu de l’hystérie générale. En ce sens, je dirais que ce livre qui me vint sur la montagne m’apparaît non comme un recueil de poèmes mais comme le trou d’un parcours à la fois métaphysique et existentiel. J’espère disparaître les yeux fixés sur le vol culminant de l’unique aigle royal du Grand Paradis.