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Ondes mélancoliques de choc

Jehan Van Langenhoven

Pour 

Franck Balandier



Dans la nuit du 21 au 22 août 1911, la Joconde disparut du Musée du Louvre.

On soupçonna rapidement Guillaume Apollinaire,

ce qui lui valut de passer quelques jours à la Santé.

Alors qu’il eut été préférable de se tourner du côté de Frank Balandier

qui, privilège du rêve, en aura toujours su bien plus que ce que

la littérature lui aura permis de nous en dire…


On ne chemine pas impunément avec Guillaume Apollinaire. Certes il est toujours possible de s’en remettre à la seule culture, ce qui, plus ou moins fade simulacre, ne saurait par essence convenir à la poésie. Tant cette dernière se refusera toujours à considérer le verbe d’un côté et la chair de l’autre. Le poète d’une seule pièce étant animal incurable de transcendance. Et Frank Balandier le sut pertinemment confier à des mille de toute familiarité racoleuse son Apo (roman), objet de notre première rencontre au micro de Radio-Libertaire sur Ondes de Choc le dernier comptoir où l’on cause, l’émission qui peut faire et défaire les carrières à loisir.

La carrière de L’Enchanteur pourrissant ainsi que celle de l’auteur de Sing Sing écrivant Les premiers prisonniers commencent à arriver. Je les ai sélectionnés. Ce n’est pas vraiment le terme. Je les ai choisis pour leur solitude…

La surprise fut bonne. Tant l’homme était élégant. Et beau aussi. Dépourvu de tout soupçon d’amertume. Vif, le sourire aux lèvres et surtout possédant son Guillaume sur le bout de la semelle.

Semelle de mélancolie habituée à l’errance faite pour frapper le pavé, le bitume d’un pas qui ne saurait que lui appartenir tant, authentique, il ne s’agit pas ici de faire de l’Apollinaire mais tout simplement de marcher aux côtés de l’ami. Lui disant Apo comme d’autres plus tard donneront du Dédé à Breton.

Si ce genre de déambulation implique une bonne dose de brume impossible de ne pas y deviner l’électricité qui en permanence la traverse. L’électricité d’Alcool aux tramways feux verts sur l’échine musiquant au long des portées de rails leurs folies de machines, mais aussi d’un tout autre voltage les rifles endiablés de ces groupes de rock qu’initiateur de la première radio carcérale, Franck Balandier, éducateur en milieu fermé, sera parvenu à faire se produire en prison. Jusqu’au groupe Trust à Fleury-Mérogis. La prison nous y voilà.

Et ce qu’elle impliquera en lui d’irrépressible conscience de l’absurdité de la condition humaine, blessure à jamais ouverte aux plus profonds de ses fibres se situant en conséquence aux parfaits antipodes de toute éventuelle attitude intellectuelle. Il y consacra un livre, Sing Sing, son dernier

dont nous n’aurons pas le temps de parler, avec en guise de dédicace simplement à tous les taulards. Les barreaux sont les barreaux. Et au vu de sa fonction nulle métaphore possible pour ici atténuer les cris, les plaintes de ceux qui se trouvent derrière. Il en devine la rage, la peur, l’angoisse dont celle d’Apollinaire à son tour humilié… Puis on lui demande de se pencher. Il s’exécute. On lui ordonne de tousser. Il tousse. Il convient de s’assurer qu’il ne dissimule rien dans son anus.

Pas de littérature inutile, le verbe s’y faisant pour la circonstance quasi clinique. Apollinaire, numéro d’écrou à l’appui, est à la Santé que, semblable aux ardents détectives privés de jadis, il pistera méticuleux afin, au fil mouvant des lignes de son Apo, d’ainsi nous restituer aux dires d’un Jim Harrison rappelant qu’il n’y a pas de vérité qu’il n’y a que des histoires, ce qui, vivacité de plume veillant à la tenue en haleine, ne saurait que parfaitement convenir à cette longue narration d’un bout à l’autre ludiquement menée du pied léger, haletant et néanmoins si précis du funambule:


Se perdre. Se perdre dans lecture palimpseste des murs.

Graffitis. Calendriers éphémères. La mémoire des murs.

Leur souffrance aussi. Des mots griffonnés. Sculptés.

Taillés dans la profondeur de la craie. Partout. Sur le fer

écaillé d’un montant du lit, y lire cette inscription glaçante:

Dédé de Ménilmontant pour meurtre. Fermer les yeux. Ne

plus penser. Essayer. S’endormir enfin.

(Le Paris d’Apollinaire)


(Au fait sur Apollinaire et le coup de

la Joconde en savait-il encore beaucoup

que les mauvaises farces de la vie

ne lui auront pas permis de nous dire?

Oui beaucoup! Beaucoup…)


Ménilmontant que d’aucuns auront récemment tenté d’aseptiser mais en vain, aura toujours eu ses poètes dont Dédé, là pour meurtre peut-être et Frank Balandier plus sûrement qui pourtant si on excepte L’Heure Tiède (2019) n’aura jamais commis que peu de poèmes en regard de ses romans, ses essais. Et pourtant dixit nos entretiens ne considérait-il pas la poésie comme le summum de la parole. Aussi comment ici ne pas miser sur une prochaine mise à jour de quelques poèmes encore inédits, attendant leur heure dans la poche d’un vieux falzar oublié, au hasard d’un cahier de sciences naturelles ou bien glissés dans un ces livres inavouables miraculeusement sauvé des eaux dans lesquels l’enfance se plaît parfois à apprendre la vie, afin derrière la prose d’ainsi bientôt nous en dire plus sur ce que tout pétri de mélancolie électrique il fut en poésie.

Paris/Inondation 1910… Les commerces les plus touchés sont les librairies et les maisons d’édition qui ont tout perdu. Dans certaines rues de Saint-Germain-des-Prés, rue Jacob, on se souviendra longtemps de ces rivières de livres à la dérive, flottant tant bien que mal à la surface, comme une hémorragie de mots perdus à tout jamais… Aussi anticipant la venue de l’orage, surtout en ces temps de perpétuel sursis, à l’instar de ces lignes une fois encore extraites du Paris d’Apollinaire vite retrouver les mots de Frank Balandier, perspective salutaire. Salut camarade.


Jehan van Langhenhoven/Ménilmuch le 21/05/2023.


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