Pour Werner
Anne Guilbault
Pour
Werner Lambersy
fait c’est déjà fait tu commences et c’est déjà fait fini libre d’être écrit n’importe quand ou jamais n’importe comment ou pas du tout
Maîtres et maisons de thé
Les mots de Werner Lambersy… Ils sont venus à moi par l’entremise de mon ami Otto Ganz, poète des brumes et de l’inaudible… Sait-il que la poésie de Werner a défriché un sentier dans mon imaginaire? J’aurais du mal à rendre hommage à Werner sans l’associer à Otto… Leurs univers partent du même souffle, de la même attention au vivant… du moins, c’est ainsi que leur poésie arrive en moi…
Maîtres et maisons de thé… Les mots de Werner résonnent en creux, au creux, juste là où mes propres poèmes attendent… Au creux de l’écriture balbutiante, au bord du précipice, au bord des lèvres… En creux, dans le vacarme de mon pays d’hiver inhabitable…
Il y a eu une rencontre chez lui, un jour d’automne pluvieux. Une plongée dans sa douceur. La découverte de sa voix, de son regard, de sa présence. Ses beaux cheveux blancs de sage… Je me demandais comment j’avais abouti là, au cœur de Paris, en compagnie de Werner Lambersy et d’Otto Ganz… Je n’ai pas parlé beaucoup. J’ai écouté… J’ai absorbé… Étonnée et émue…
Dans l’écriture de Werner, il y a le silence dont je suis insatiable, tout comme la délicatesse des gestes propres à la cérémonie du thé. Il y a la légèreté de la pluie qui rebondit sur les toits inégaux… Un sentier de dalles “dans la passion sereine d’une herbe drue”, et un lieu “réservé enclos sur lui-même pour la rencontre le recueillement et le danger l’échec et la chance de vivre où ceux-là qui se rencontrent seront les maîtres immortels de l’éphémère”…
Il y a eu aussi des lettres échangées, de part et d’autre de l’océan… missives peu nombreuses mais précieuses… et l’accueil de mes mots par Werner qui prit le temps de m’en parler après sa lecture de mon roman Joies… Bien sûr, il avait entendu la poésie avec laquelle j’ai tissé cette histoire d’abandon…
J’écris ce petit texte alors qu’un grand vent traverse mon jardin au bord du fleuve… Les bouleaux et les érables frémissent, le parfum du lilas en fleurs me vient par bouffées, un avion traverse le ciel… J’ai laissé refroidir mon thé, évidemment… En compagnie de Werner, je suis dans une bulle hors du monde, insensible à tout ce qui n’est pas le battement de la nature autour de moi…
Je n’aurai pas revu Werner Lambersy après cette rencontre à Paris, chez lui… Mais je garde précieusement le souvenir de cet instant lumineux et improbable passé en sa présence et en celle d’Otto Ganz.
C’est ainsi qu’on apprend à écrire peut-être… ou qu’on finit par croire qu’il faut seulement écrire et mettre au monde ce qu’on porte en soi avec simplicité et confiance, n’importe quand, n’importe comment, sans peur…