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Quelques lignes égarées…

Philippe Remy-Wilkin

Pour 

Daniel Fano

Quelques lignes égarées qui disent un talent et une humanité…


Daniel Fano! Je lui dois mon premier article. Du temps de ma préhistoire, quand je jouais les scénaristes au côté de jeunes graphistes d’avant-garde, au cœur d’un magazine qui n’aurait jamais qu’un seul numéro.

Daniel Fano! Il travaillait alors comme critique au Ligueur et allait consacrer en juin 1990 un long et superbe texte à des débutants inconnus et balbutiants: trois colonnes, qui disent beaucoup sur l’homme (son ouverture d’esprit) et sur l’écrivain (la critique peut être un art et participer d’une œuvre littéraire si elle est menée avec un supplément d’âme et d’engagement).

Je vais recopier un extrait de cette évocation éclairée, elle révèle une plume, une générosité et une érudition, comme tout fragment d’une œuvre véritable révèle son créateur:

“(…) Usant de perspectives tronquées, d’effets de distorsion, d’anamorphoses, ils produisent des récits brefs (…), insolites, surréalistes, sans intrigue au sens traditionnel du terme: plutôt que des imitations du monde supposé réel, il s’agit de points de vue documentés sur les sensations, les sentiments, les souvenirs, les vertiges, les hallucinations — l’espace mental. Ils ont quitté le registre du récit linéaire pour glisser dans celui de la poésie véritable. (…) ils multiplient les recherches plastiques et narratives, ils expérimentent des possibilités d’articulation, d’interaction entre les différentes formes de création artistique (…) c’est un laboratoire international, européen, où l’exigence formelle ne signifie ni snobisme ni refus de la fragilité (…)”

 À d’autres moments de sa relation, Daniel Fano invitait à la table des comparaisons Loustal et Mattoti, Ceesepe et Del Barrio, Hockney, le Futurisme, le Cubisme, l’Expressionnisme allemand, Modigliani, Klee, Mondrian, Juan Gris, Picasso, Toulouse-Lautrec… Qui étaient les références de mes camarades, conscientes ou inconscientes. De le relire me donne le vertige! Et que fût-ce à cette époque, quand nous étions aussi inachevés et naïfs qu’avides de compréhension et de reconnaissance?

Daniel Fano! Un fanal. Et une oasis, de celles où s’abreuvent ceux et celles qui vont traverser le désert du milieu artistique. De ces guides qui prolongent des itinéraires ou les propulsent.

Daniel Fano! J’avais été si heureux de le retrouver en 2007, alors qu’il livrait, au Castor astral une remarquable biographie d’Henri Vernes et de Bob Morane. Qui manifestait ces mêmes qualités d’empathie et d’analyse, d’originalité aussi. Ouvrons la table des matières, elle écarte illico du pensum et du fatras anecdotique. Trois séries d’entretiens à bâtons rompus, une suite d’analyses thématiques (où il est question de Dumas et de Sherlock, de femmes et de style, etc.) ou d’interrogations sur l’œuvre, des témoignages (où l’on croise avec émotion les regrettés Jacques De Decker et Francis Dannemark, entre autres, ou un Roger Lahu qui, bien plus tard, offrira un percutant pastiche des aventures de note aventurier préféré) et des révérences, une anthologie qui passe en revue des perles du catalogue, un itinéraire avec ou sans Bob Morane, et des pièces rares (une postface pour Jean Ray, une préface pour Michel de Ghelderode, un extrait de roman inédit, dans une veine plus littéraire, etc.).

Daniel Fano! Enfer et regrets, j’ai raté son œuvre personnelle, peu médiatisée il est vrai, happé par d’autres lectures et travaux, L’intercepteur de fantômes (paru chez Traverse/Couleurs livres en 2018) stagne toujours dans ma pile de livres en attente.

Toute vie est une approximation.

© Pablo Garrigos Cucarella

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