Réveiller le regard
Pierre Schroven
Pour
Rio Di Maria
“Le monde pourrait être le livre ouvert de la pensée du monde, mais l’habitude ferme nos yeux et fait que nous ne sommes pas au monde”, Bernard Noël.
“Voir Être regardé l’accident c’est survivre”, Rio Di Maria.
Dans un livre qu’il a consacré à Magritte (Magritte; Paris: P.O.L., 1998) Bernard Noël s’est penché plus particulièrement sur “Les vacances de Hegel”, un tableau que le génial peintre peignit en 1958. À travers cette brève étude, le poète s’est attaché à énumérer les caractéristiques d’une peinture susceptible de nous faire prendre conscience de la dissimulation foncière de l’être, d’unir en un seul plan la vision et la pensée, de dévoiler la face cachée de la réalité voire l’inadéquation de l’image au réel.
Dans Rackets du temps, Rio Di Maria questionne à son tour le regard au point que, chaque poème du recueil, peut être considéré comme étant un œil qui regarde le monde et “investi”la réalité donnée pour en élargir les limites. Il n’a donc pas été étonnant de voir Rio dédicacer le texte de la page 61 (“L’’accident c’est survivre”) à son ami qui, comme lui, se passionnait pour les peintres qui prenaient un malin plaisir à bousculer le poids mort de l’institué, à montrer les limites du visible et à remettre en question le caractère définitif de la réalité.
Ce bref article n’a d’autre but que de rappeler la connivence qui existait entre les deux poètes qui, à travers leurs œuvres respectives, ont toujours eu à cœur de nous rappeler que rien n’existe tel que nous le pensons, que le visible ne s’accommode d’aucune adhérence à soi (“Le visible est possibilité et non une réalité”, Léon Spilliaert) et que, d’une manière générale, nous avons oublié l’expérience première de l’étrangeté du monde; mieux, cet article n’a d’autre but que de mettre au jour la belle amitié qui existait entre deux poètes férus de peinture qui ont entretenu une correspondance suivie jusqu’à leur dernier souffle et n’avaient de cesse, à travers leurs œuvres respectives, que de maintenir la vie en vie.