Rio Di Maria, l’insoumission en poésie
Jean-Louis Bernard
Pour
Rio Di Maria
Poète de foudre et de source, aux cauchemars éblouissants, cousins des versions “mescaliennes” d’Henri Michaux. D’autres voisinages mêlés: entre Magritte, Jérôme Bosch et Kaspar David Friedrich, Rio di Maria peint à grandes lampées ou petites touches d’images psychédéliques ou fantastiques mâtinées de lyrisme, images catapultées à peine nées par leurs suivantes. Car le poète choisit l’image avant le sens, tout en conservant une trace fossile de ce dernier. Il fait ainsi de la poésie à la fois une école de porosité entre les mondes et une subversion de l’ordre du langage. Écrire devient alors une affaire de devenir et touche en conséquence, quasiment par définition, à l’inachevé(“il neige notes inachevées/sur le chemin d’éternelles paroles”).
De quoi s’agit-il au fond? D’un certain rapport au temps, à la lumière, aux souvenirs qui s’estompent. Sachant que tout voyage pose la question du lieu, mais aussi du regard que l’on pose sur lui, regard qui génère métamorphose(“la vie s’accomplit en multiples métamorphoses”).
Trouvent place ici ces renversements de situation (“l’ombre lézarde l’éclair”), comme si les miroirs brisaient l’homme pour le punir de trop contempler son reflet. Rio di Maria nage sur terre, temporalise les territoires, spatialise les instants. Son continent n’a pas de rives, il est dérive. C’est le souffle qui perd haleine. L’ailleurs est en nous. Et où bouge-t-on le plus? Dans l’immobile. Entrent les sorcières de Macbeth: “Fair is fool and fool is fair”. Rio di Maria, insurgé du temps autant que du langage, fréquente assidûment les Gorgones aux yeux de serpent, les prêtresses du jouir qui émergent à intervalles réguliers de son athanor poétique. Sauf que le désir est ici en contact permanent avec l’absence et la finitude.
Il n’y a pas de mots rares chez Rio di Maria, mais leurs alliages le sont ô combien. Mots qui n’ont à priori aucune raison de se retrouver ensemble, mais qu’il aura choisis juste pour une résonance, un souffle, une présence. Manière de désencombrer la parole de ses artifices pour en faire une adresse au lecteur et l’entraîner en conséquence à moduler son propre accès au monde. Ce lecteur fait ainsi l’expérience des déséquilibres existant au fil de ces pages, ainsi que d’un découpage inédit de la durée. Il partage, bon gré mal gré,une par du (grand) risque pris par le poète. Il s’égarera parfois, et simultanément cette errance alchimique se transformera en expérience quasi mystique, à la fois blessure de la lucidité et plénitude de la présence au monde.
Rio di Maria écrit ainsi en équilibre entre le seuil et le passage, et en totale insoumission vis-à-vis des paradis préparés et des enfers revendiqués. Sa langue est chorégraphie de l’instable et de l’impermanent, clouée à vif au bord pérenne de la perte, scandée parfois comme le furent peut-être les danses primordiales. Ses mots sont arrachés à l’indéchiffrable: il les jette comme cailloux dans l’eau, puis observe les cercles concentriques. Le prix à payer se nomme errance, mais la sienne capte tous les possibles du devenir et invente à chaque pas une infinité de lignes de fuite.
Nous savons(ou devrions savoir) que toute écriture poétique qui se veut telle ne peut passer que par une symbiose aussi parfaite entre le vide et les mots, entraînant une transgression inévitable du langage. Telle, dans sa nudité foisonnante, s’offre cette œuvre cathartique, butin du cambriolage par l’auteur de ses insomnies, rêves, fantasmes… mystères (au sens d’Eleusis?). C’est ainsi que, à lire Rio di Maria, on se prend à rêver d’un monde où le discours poétique serait la question primordiale, au-delà de toute autre préoccupation.
JEAN-LOUIS BERNARD