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Un visionnaire

Arnaud de la Croix

Pour 

Jacques Crickillon

J’admirais son roman aux accents rimbaldiens, chef-d’œuvre aux inflexions électriques que n’aurait pas désavouées un Jimi Hendrix, L’Indien de la Gare du Nord. Je le respectais aussi parce qu’il avait osé, très tôt, dire combien la littérature qui a mauvais genre – la SF et le fantastique, en particulier – lui paraissait digne d’éloges et d’intérêt. Je soupesais, enfin, son analyse fine des bandes dessinées d’Edgar P. Jacobs, le créateur de « Blake & Mortimer » adonné au Space Opera.

Un intermédiaire inattendu, Jacques De Decker, nous présenta l’un à l’autre, me confiant la tâche délicate de jouer les éditeurs, au sens anglo-saxon du terme me précisa-t-il, en vue d’une anthologie des textes critiques que l’Indien avait publiés, au fil du temps, dans la revue Lectures, destinée aux bibliothécaires francophones du pays.

On se retrouvait, l’Indien et moi, à la sortie de nos fouilles respectives au fond de ces mines d’or que constituent quelques bouquinistes du centre de Bruxelles. On se voyait dans des établissements enfumés, tavernes louches qui n’auraient pas déplu à Jean Ray. Là, accompagné de sa souriante moitié, le chercheur de filons rares, également arpenteur de sommets, après avoir déposé sur la table son chapeau de baroudeur et son calumet culotté, dégustait, songeur, une bière aux reflets mystérieux.

Je croyais tout savoir et il me fit tout connaître : les recueils de nouvelles improbables de Ballard comme les réflexions pessimistes de K. Dick… Il m’apparaissait tel un prophète érudit, prédisant une apocalypse plus ou moins imminente. C’était un sage, un homme revenu de tout sauf de l’amour. Je n’en suis jamais revenu.




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