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Une lettre

Eric Brogniet

Pour 

Jacques Crickillon

Le 15/10/97


Mon cher Jacques,


J’ai bien reçu ta lecture de La chambre d’écriture et t’en remercie vivement: avec Bosquet et Romnée, tu es le seul lecteur qui m’ait jusqu’ici permis de saisir intimement le ressort de mon travail et par-là même de rebondir face à mes textes. Ceci dans le respect de ceux-ci. Déjà le texte de ta préface était pour ainsi dire prémonitoire: écrit en 1990, il est sans une ride vis-à-vis de cette série dont l’écriture a commencé en avril 1991pour être publiée… six ans plus tard, et ce texte aurait tout aussi bien pu être écrit à la veille de la publication. Tu notes la rigueur de la composition en tercets avec un vers final détaché, ce qui est venu bien après le premier jet: ces contraintes formelles, et l’utilisation des vers réguliers (8, 10 ou 12 pieds) dans ce corset, laissent pourtant libre le jeu du poème; elles lui donnent cependant la cohérence sans laquelle ils n’auraient pu exister. Le maintien de la forme libre dans plusieurs autres versions antérieures du manuscrit n’a pas été satisfaisant: comme si la volontaire simplicité du propos se devrait d’être rigoureusement cadrée. Je suis content que des lecteurs m’écrivent pour dire que — ici, c’est moi qui l’ajoute, malgré le caractère exigeant du fond (l’amour, la mort) dont Rilke avait bien dit que c’était là des thèmes qui ne se pouvaient être traités par un jeune auteur, le livre leur paraît limpide et agréable à lire: sans doute, la forme y incite-t-elle… Et ceci tu le notes et l’éclaires magnifiquement par cette formule: À mesure que coule le flux de la parole, s’édifie en barrage le poème; ça, c’est du langage de sourcier et de poète pour dire exactement ce qui s’est exactement passé au cours des quatre années de travail qui m’ont été nécessaires pour trouver la juste adéquation entre la parole du premier jet et la forme poétique qui s’imposait! De là, tu montres bien que la forme n’est pas séparable de la thématique et opère une progression de l’esthétique vers le métaphysique: s’abolit alors l’artificielle dichotomie du dehors et du dedans… Merci donc pour cette note dont la synthétique force est d’une rare justesse, toute traversée d’appels et d’incitations à la lecture.


A très bientôt, avec mon amitié à tous les deux […].

Eric


Note: Cette lettre fait référence au texte de la préface écrite par Jacques Crickillon, et à une note préalable sur le manuscrit original, pour le livre de poèmes d’Eric Brogniet, Dans la chambre d’écriture, Lausanne: L’Age d’homme, 1997; coll. Contemporains.


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