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Denys-Louis Colaux

Otto Ganz

Responsable de la page :

20 juillet 1959

Weillen (Belgique)

23 juillet 2020

Dinant (Belgique)

61

ans

Belgique

Contributions

Présentation

Quelques poignées de cendres

Déposées au cœur de la terre

 

Un jour, Denys-Louis Colaux m’a chu dans le palpitant. J’avais trébuché sur le sien. Ça a éclaboussé jusqu’au faîte et nos yeux se sont croisés. Alors, pour clarifier la nuit par de la lune pleine, présenter mon Poilu dans ce contexte libresquamicorin tient autant de l’ultime nécessité que de l’infection urinaire, laquelle n’a rien de nécessaire sinon qu’elle imprime la mémoire. Seul avantage au présent accouchement, c’est qu’en ce contexte, si respecter l’humain qu’il fut est une priorité, je peux permettre l’arrivée groupée de mots gros marshmallows, ceux qui roulent et vous engluent la bouche, vous emmiellent la gorge, titillent la luette et emplafonnent la bêtise pour colmater les fissures… que ça tournicote le langage comme une patte de chat prise dans une pince à sucre… Alors voilà, Denys-Louis Colaux est mort.

 

L’idée ne l’enchantait guère, soit, mais bien plus que la mort, le spectacle et l’annonce d’une souffrance pré-létale le débèquetaient. De notre vivant, évoquant nos trépas respectifs, nous riions de l’entourloupe à lui concocter. La Camarde, de commun accord et sans avis préalable, s’en est prise plein la vitrine. Lui et moi nous en sommes largement gaussés… sa dégaine de momie et de son haleine de rat crevé, elle n’avait aucune chance d’en sortir grandie. Elle aurait pu se venger, elle ne l’a pas fait. La susdite infâme aura au moins été avisée en reconnaissant le génie du maître: la Pandémie ramassait son plein tombereau; son métier le mettait en première ligne pour assister à la mort des âgés dont il avait la charge et qu’il ne pouvait s’empêcher d’aimer. “Ça me bouffe”, qu’il m’avait avoué. 22 juillet 2020, Exit. Denys-Louis Colaux est décédé soudainement d’un truc qu’a pété dans la tête. Il n’y aurait évidemment aucun lien factuel entre sa mort et le contexte… la bonne blague! “Ça me bouffe”. Tu m’étonnes, l’Ami! Le cœur en souffrance, les larmes qu’on retient et la pression qui augmente…

 

Tout ce qui doit être dit: second né de quatre sur la table de cuisine de l’école de Weillen, des entrelacs d’une institutrice de village et d’un ouvrier mécanicien en filature, en 1959, il a vécu à Anthée… est décédé à Dinant… la majeure partie d’une vie ancrée dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres, quarante avec les allers-retours et les ballades en forêts… Denys-Louis Colaux, misanthrope tempéré, bipède exclamatif, homme de radio et d’embouchure, de lettres et de fifres, humaniste attendri, amoureux révolté, solitaire curieux du spectacle de l’autre, gueulard en sucre, écrivain païen et provocateur intempestif, essayiste, fouteu d’jîns, poète des merveilles, nouvelliste, acrobate, argothérapeute, péripatéticien inclusif, revuiste, poète chiropracteur de cette langue lorsqu’elle s’emmêle les papilles, découvreur d’arts, de respirations et d’artistes… Denys-Louis Colaux, concepteur d’une improbable recette d’omelette aux haricots mentholés, s’en est allé. Ses cendres se sont déposées aux pôles d’une campagne verdoyante que courbe l’échine des lauriers et des saules tortueux.

 

Ici sont ancrées les cendres d’un homme, dis-je, d’un terrien sédentaire… d’une vie en lucide promiscuité de l’absurde et du tragique: les maltraitances d’enfants, la mémoire génocidaire, familiale, frôlée par le drame… à porter ses aînés jusque dans leur trépas. Et au final, cette voix lorsqu’il jurait “Pute Borgne!”, avec admiration, respect, et même une infinie affection pour cette presqu’image à la Modigliani… L’ailleurs n’est pas utile tant qu’on n’a pas épuisé la fiction d’ici et maintenant…

 

S’est éteint un pan de la jouissance du langage, une musique du parler, une rythmique puisée au Blues originel qu’il affectionnait, au Jazz, aux rythmes des bêtes tractant la herse, à l’alternance des soufflets dans la forge, la découpe nette de la scie électrique/éclectique d’un Carlos Santana ou d’un Jimi Hendrix, le clapotis des enfants africains battant d’une pleine et commune mesure le lit du fleuve infesté de crocodiles en plastique. Dans ces fascinations comme dans ses écœurements, Denys-Louis Colaux est à l’image de son écriture: un feu. Lire les textes de mon frère Colaux — Père Spicace pour trois jolies marmottes et un marmot bien joli aussi —, ce n’est pas assister béatement aux illuminations d’une fête nationale quelconque, mais bien plonger au cœur du savant engrenage pyrotechnique et s’enivrer des déflagrations.

 

Plusieurs prix littéraires lui furent attribués, d’autres pas. Le signaler a du sens: il y avait du jeu… de la prophylaxie, du vaccin, de l’antidote à la célébrité factice et ampoulée chez lui. Pensons seulement à la production d’un roman truculent et caustique intitulé le Prix Sorel… Feigne ne pas comprendre qui peut. Il revendiqua avec fierté la réception d’un autocuiseur pour son anniversaire en 1999, entretint des amitiés profondes, intimes, génétiques, quelques inimitiés également… dont il n’avait à battre ni linge ni céréales. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’un de ses livres porte pour titre délicat et empathique “Je hais les poètes (vivants)!”? L’éléphant en ballerine — mais dans un magasin de vaisselle tout de même — attaché à dessiner avec virtuosité un subtil lacis de violettes sur une théière en porcelaine chinoise. Des mots plein la gorge, dis-je, parce que la langue est une question de mastication, de remuement, de retournement, de déglutition; la littérature: de désarticulation et de mésarticulation de la réalité et des destins. D’invention.

 

Tout ce qu’on racontera, dès à présent que Denys-Louis Colaux a quitté l’état du vivant, est véridique, tout autant que strictement invérifiable. Ne croyez à rien le concernant, lui-même en avait la conviction. Ainsi soit-il. Pour reprendre une de ses auto-dédicatoires formules, cet homme laisse désormais un vide là où son œuvrecomble enfin l’espace en friche qui séparait le tragique braiement de l’âne de Buridan du retentissant hennissement de Pégase.”


Otto Ganz

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