Rio Di Maria
Pierre Schroven
Responsable de la page :
17 juillet 1946
Canicatti (Sicile)
23 mars 2020
Flemalle (Belgique)
74
ans
Belgique
Présentation
Rio Di Maria : juste quelquâun de bien
La poĂ©sie est dans ce qui nâest pas, dans ce qui nous manque, dans ce que nous voudrions qui fut; elle est en nous Ă cause de ce que nous ne sommes pas. (Pierre Reverdy)
Car la poĂ©sie est voie dâaccĂšs au temps pur, immersion dans les eaux originelles de lâexistence. La poĂ©sie nâest rien dâautre que temps, rythme perpĂ©tuellement crĂ©ateur. (Octavio Paz)
Lâhomme connaĂźt tant dâautres choses; il ne se connaĂźt pas lui-mĂȘme. (Aldous Huxley)
Jâai fait la connaissance de Rio Di Maria en 1984 Ă la Maison de la culture de Charleroi et ce, dans le cadre dâun Ă©vĂ©nement (lectures, dĂ©dicacesâŠ) organisĂ© par la revue littĂ©raire âRemue-MĂ©ningesâ dont je faisais partie. PerturbĂ© par une grĂšve surprise des transports en commun, lâĂ©vĂ©nement se rĂ©vĂ©la ĂȘtre un fiasco retentissant. Cependant, alors quâil nâĂ©tait en rien concernĂ© par lâĂ©vĂ©nement, Rio fit le dĂ©placement en voiture depuis FlĂ©malle rien que pour nous manifester son soutien et nous tĂ©moigner de son amitiĂ©. Cela en disait long sur le profil de ce poĂšte dans lâĂąme voire de cette belle personne qui, dĂ©jĂ Ă lâĂ©poque, cultivait le âgoĂ»t des autresâ, le sens de lâamitiĂ© et du (beau) geste gratuit. Peu avant son dĂ©cĂšs, lors dâun repas que nous avions lâhabitude de partager dans une brasserie dâAmay (le Mundial oĂč nous parlions de poĂ©sie, de rock mais aussi de billard, de football voire de kicker, trois disciplines oĂč il avait excellĂ©), quelle ne fut pas ma surprise lorsque Rio me tendit lâinvitation quâil avait reçue Ă lâĂ©poque et quâil avait tenu Ă conserver en souvenir de notre amitiĂ©...
Rio est nĂ© Ă Caniccati (Sicile) en 1946. Ă lâĂąge de 11 ans, rattrapĂ© par un contexte Ă©conomique gĂ©nĂ©rant faim et dĂ©sarroi, il est contraint de sâexiler dans le bassin liĂ©geois oĂč lui et sa famille espĂšrent vivre des jours meilleurs. Las, la barriĂšre de la langue, le climat morose et le mal du pays vont compliquer son intĂ©gration. Pourtant, ce contexte dĂ©favorable ne lâempĂȘchera nullement, et cela force lâadmiration, dâentamer des Ă©tudes commerciales, de faire une belle carriĂšre dans la mĂ©tallurgie (40 ans), de fonder une famille (il fut mariĂ© Ă Viviane qui lui donna trois fils: Fabian, Damien et StĂ©phen), de participer dĂšs 1967 Ă lâaventure poĂ©tique de la revue âVĂ©ritĂ©sâ qui deviendra âlâArbre Ă parolesâ ensuite, et de rejoindre dans la foulĂ©e lâasbl âIdentitĂ©sâ (Francis Tessa, Francis Chenot, RenĂ© GerbaultâŠ) qui deviendra la Maison de la poĂ©sie dâAmay. On peut affirmer sans se tromper que la rencontre avec le collectif dââIdentitĂ©sâ se rĂ©vĂ©lera dĂ©terminante pour lâĂ©panouissement personnel et artistique de ce passionnĂ© de poĂ©sie, de cinĂ©ma, de peinture et de dessin dĂ©sireux de trouver sa voie (voix?) et de se faire âune place au soleilâ dans le paysage socio-culturel liĂ©geois de lâĂ©poque.
En 2001, lorsque jâai rejoint Ă mon tour le ComitĂ© de lecture et le Conseil dâadministration de la Maison de la poĂ©sie dâAmay, jâai pu compter sur le soutien indĂ©fectible de Rio pour mâintĂ©grer au mieux au sein de la vĂ©nĂ©rable institution. Ceci dit, combien de poĂštes Rio nâa-t-il pas aidĂ©s, conseillĂ©s et guidĂ©s? Combien de contacts utiles pour lâArbre Ă paroles nâa-t-il pas nouĂ©s lors de sa prĂ©sence active sur les marchĂ©s de la poĂ©sie? Combien de conflits larvĂ©s nâa-t-il pas dĂ©samorcĂ©s grĂące Ă sa diplomatie et sa fine connaissance de la nature humaine? Combien de soirĂ©es de poĂ©sie nâa-t-il pas filmĂ©es Ă Amay au point dâen devenir dĂšs 1994 la âmĂ©moireâ vivante? Combien de calembours aussi drĂŽles que dĂ©calĂ©s nâa-t-il pas lancĂ©s Ă la cantonade pour dĂ©rider lâatmosphĂšre (au point que David Giannoni le surnommera affectueusement âle Garcimore de la poĂ©sieâ)? Tout cela pour rappeler le simple fait que Rio aura eu Ă cĆur de servir durant quasi une cinquantaine dâannĂ©es â et entiĂšrement bĂ©nĂ©volement faut-il le souligner â, une Maison de la poĂ©sie dont il aura souvent fait passer les intĂ©rĂȘts avant les siens. Ce qui me fait dire que Rio aura largement contribuĂ©, et avec une discrĂ©tion qui lâhonore, Ă lâessor dâune Maison au sein de laquelle il se multiplia et se donna sans compter (poĂšte, mĂ©moire, administrateur, lecteur, prĂ©sident de 2009 Ă 2019, prĂ©sident dâhonneur et de coeur, confident, mĂ©diateur, amuseur public, chic typeâŠ).
Au niveau Ă©ditorial, Rio nâĂ©tait pas lĂ non plus pour âse pousserâ dans le milieu littĂ©raire puisquâĂ ce jour, on ne dĂ©nombre, en ce qui le concerne, que huit recueils publiĂ©s. Cela sâexplique en partie par lâampleur de ses obligations familiales et professionnelles, mais aussi et surtout par le fait que pour lui, la poĂ©sie dĂ©bordait largement le cadre de la poĂ©sie Ă©crite; mieux, pour Rio, la poĂ©sie Ă©tait moins un art littĂ©raire quâun enthousiasme, une maniĂšre dâĂȘtre (Le plus beau poĂšme ne sera jamais que le pĂąle reflet de ce quâon appelle la poĂ©sie qui est avant tout une maniĂšre dâĂȘtre, dâhabiter, de sâhabiter, Georges Perros).
De mĂȘme, malgrĂ© le fait que son Ćuvre fut reconnue par des voix comme Bernard NoĂ«l, Pierre Dhainaut ou Eric Brogniet, elle fut nĂ©anmoins (trop) peu commentĂ©e. Cela sâexplique, je pense, par le fait que les poĂšmes de Rio sont sans destination apparente et laissent peu de âprisesâ aux commentateurs souvent dĂ©routĂ©s par ces textes oĂč les Ă©nigmes pleuvent, oĂč lâinconscient et le rĂȘve sont valorisĂ©s. Pour approcher un tant soit peu la poĂ©sie de Rio Di Maria, il convient au prĂ©alable de se pencher sur ses dessins qui, Ă lâinstar de plusieurs de ses textes, mettent en scĂšne une nature en chemin oĂč les espĂšces, les mondes, les genres, sâentrecroisent, communient allĂšgrement, produisent un souffle (changer de souffle, câest changer de pensĂ©e, proverbe indien), initient un rythme voire un mystĂšre. Ainsi, on peut affirmer que les textes de Rio sont traversĂ©s dâune forme de transe, dâimages qui brisent en crĂ©ant, de questionnements et de sensations susceptibles de nous permettre de vivre le monde Ă une autre Ă©chelle (jâinvente ce que je vois, Marcel Havrenne), de retrouver une vision neuve des choses, de percevoir cette dimension dâinconnu par laquelle se joue notre prĂ©sence au monde voire de retrouver lâenfance, ce moment oĂč rien nâĂ©tait encore fatiguĂ©, usĂ©, oĂč le regard nâĂ©tait pas encore perturbĂ© par le besoin de juger, comparer, identifier. Chez le poĂšte de FlĂ©malle, câest lâĆil du chaman qui est Ă lâĆuvre et multiplie les visions pour Ă©largir les limites du monde, apporter de la libertĂ© Ă une rĂ©alitĂ© qui en manque, devenir autre, sortir du faux moi et se prolonger dans tous les sens et Ă tous les temps; chez le poĂšte de FlĂ©malle, lâĆil entend, lâoreille voit, demain est hier, ici est partout. A travers son Ćuvre, Rio Di Maria, sâest efforcĂ© de chanter lâivresse du rĂ©el absolu, de dĂ©noncer tout ce qui salit la vie, de donner noblesse Ă tout ĂȘtre et toute chose, de combattre la mort vivante qui se reprĂ©sente Ă nous quotidiennement et de faire lâapologie du souffle vital avec lâidĂ©e que la vie est une bĂ©nĂ©diction mĂȘme dans ses heures les plus noires. Mais si Rio Ă©tait bien ce poĂšte pressĂ© dâentrer dans la parole dâun nouveau monde, sa poĂ©sie lyrique, onirique voire surrĂ©aliste Ă©tait avant tout celle de la jubilation, du pur plaisir dâĂ©crire, de crĂ©er, de bouleverser et de dĂ©river dans lâimpatience dâaimer.
Pierre Schroven