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Werner Lambersy

Otto Ganz

Responsable de la page :

15 novembre 1941

Anvers (Belgique)

17 octobre 2021

Paris (France)

79

ans

Belgique

Contributions

Présentation

Semper vitat Werner Lambersy


C’est un exercice d’équilibriste que présenter Werner Lambersy mort alors qu’il fut un si beau vivant. Une utopique tentative d’équilibre entre la légende et la réalité, entre l’utile administratif et l’indispensable volatile du poète, entre les pistes et celui qui passa au moins 50 ans à les rechercher et les brouiller ; équilibre entre ce que j’ai lu de lui qui imprima mon existence et celui qu’il fut pour moi, affection et affects, figure choisie par l’un et adoptée pour l’autre. Équilibre, enfin, entre ce que dit l’Histoire dans laquelle s’est inscrit son intervalle de vie – né pendant la seconde guerre mondiale (16 novembre 1941), décédé durant la grande pandémie (18 octobre 2021), un mois avant d’atteindre les 80 années – et la légende symbolique qu’il s’est attaché à construire/traduire/transcrire au travers ou par l’ensemble de son œuvre. Une vie/œuvre à chercher, tracer, indiquer sans destination sinon l’importance de vivre en conscience du mouvement.

Pour faire simple, on pourra rappeler l’indispensable, la base, mais sans illusion de rigueur ou d’une ligne narrative droite : Werner Lambersy, poète belge « flamand » – parce que né en 1941 à Anvers d’un père nationaliste qui s’engage avant la naissance de son fils dans la SS Vlaanderen pour se consacrer à l’éducation des jeunes élites flamandes, et de Julietta Rosillon (Jacky), issue de la bourgeoisie juive, épousée en 1938. De ce contexte culturel et familial, de ce déséquilibre structurel (entre amour pour le père absent puisque condamné, incarcéré, déchu à vie de ses droits, frappé du silence familial, et amour pour le père de remplacement, la mère, les grands-parents), des déracinements successifs de l’enfance et de l’adolescence vont s’extraire un poète et une poésie d’expression francophone : le choix de la langue pour moyen d’opposition au nationalisme paternel. Auteur d’environ quatre-vingts ouvrages, de centaines de textes, traduits en une vingtaine de langues – parce que Werner Lambersy, universaliste et humaniste, fut un voyageur, s’imprégnant des cultures, de l’histoire, un observateur du choc des plaques tectoniques, des astres et des époques… Un gouailleur, représentant en boites d’allumettes, en électro-ménager, avant de terminer sa carrière comme Attaché littéraire chargé de la promotion des Lettres belges au centre Wallonie-Bruxelles de Paris (1985-2002), devenu alors « représentant en livres », mais surtout un incroyable maillon entre nombre d’écrivains, de poètes, d’éditeurs, débutants ou confirmés, à travers la francophonie mondiale. Werner Lambersy aura assouvi son appétit de livres autant que de paysages, tous sens confondus, dans l’exploration du monde, depuis l’Asie jusqu’au corps aimé… Un nez, pour les odeurs qui indiquent du vivant ce qu’il vit, ce qu’il transpire, s’il désire, depuis combien de morts il fut enseveli, quelles heures rayonnantes recevaient ses coteaux, si l’orage arrive, en quoi l’univers palpite en deçà, dans et au-delà de la vie de chacun… le grand Tout qui fonde ce poème à l’origine de tous. Werner Lambersy, poète entier, s’est attaché à disséminer, aux fils des rencontres du hasard et de l’évènement, ses textes, ses vers, ses proses poétiques, quelques essais, chez des dizaines d’éditeurs, avec des dizaines d’artistes. Casse-tête du biographe et dépression du collectionneur : une œuvre éparpillée, écrite sur les écailles d’une carpe dont les reflets faussent la lecture, parfois dans des tirages confidentiels quand ils n’étaient pas d’emblée condamnés à l’ultra-confidentialité par la faiblesse d’éditeurs chancelants, avant tout amis – une œuvre faussement éparpillée ; dès 2009, du vivant de Werner et sous son regard perçant, les Éditions des Vanneaux ont rassemblé nombre de ces textes dans deux beaux volumes d’anthologie, mais il en reste tellement d’autres.

Une œuvre, si l’on y pense, logiquement éparpillée puisqu’animée d’une vision mêlant le dedans et le dehors, éparpillée parce que multiple, échotique et vibratoire, tout entière concentrée sur ce point focal unique et commun à tout qu’est le poème, particule microcosmique du macrocosme Univers. La simplicité apparente, parce qu’elle dépasse la limite mouvante de nos sens, vole en éclat. Werner Lambersy, poète pollinisateur… Il est dit que la transmission naquit de Babel effondrée, lorsque les hommes, ne se comprenant plus, disséminèrent les noyaux de l’Humanité.

Werner Lambersy fut, oui, un voyageur, dans l’espace, le temps, les cultures passées et présentes, les rites – les cachés, les inventés… ceux du quotidien –, les sentiments, le lien, l’amour et son contraire, seuls combustibles dynamiques du vivant et seuls vecteurs du déséquilibre originel, de l’Univers, contenu et contenant du voyageur. Si tout est le fruit du Big-Bang… le rien également. Et aussi : Werner Lambersy fut plus qu’un voyageur, père, mari amoureux, compagnon de route et ami aux tripes : il eut le temps de rentrer à destination, le temps de regarder le chemin parcouru. Alors observateur, posté, Werner Lambersy découvrit que, revenus d’où ils étaient partis, Ulysse comme les archers de Shû ont couru le risque de devenir des étrangers pour les vivants qu’ils retrouvent. Les plus lointains voyages sont ceux qui apprennent à être et, curieusement, ce sont ceux qu’immobile on se sait entamer. Le terreau de la légende est posé. Il fallut bien toute une vie d’éveil pour en arriver là ; lorsque la boucle est bouclée, il reste à s’asseoir et soulever discrètement le rideau qui donne vers la rue. Werner Lambersy s’est assis : son ombre découpe une silhouette de lumière à la fenêtre.


Otto Ganz, octobre 2022

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